Netflix et le cinéma d'auteur français, c'est une grande leçon d'amour. François Truffaut, Claude Chabrol, Jean-Luc Godard... Les plus grands - et regrettés - cinéastes de la Nouvelle Vague se sont un jour retrouvés sur la plateforme de streaming via quelques films. On peut encore y (re)découvrir Jules et Jim, Les quatre cent coups ainsi que certains classiques de Jacques Demy, le roi de la comédie musicale (Les demoiselles de Rochefort)...
Beaucoup de noms masculins, mais où sont les femmes ? Au cours des années cinquante et soixante, des réalisatrices sont elles aussi venues bousculer les codes d'un cinéma hexagonal enfermé dans ses traditions. Et parmi elles, l'une des plus grandes : Agnès Varda. Compagne de Jacques Demy, mais surtout cinéaste majeure, femme engagée, artiste féministe, dont les oeuvres foisonnent de sens et de sensibilité.
O joie, en ce mois de septembre, Netflix vient justement de déployer pas moins de six de ses films, étendus de 1962 à 2008 : Cléo de 5 à 7, Le bonheur, Sans toit ni loi, Les cent et une nuits, Les glaneurs et la glaneuse, Les plages d'Agnès... Entre fictions et documentaires, un demi siècle de cinéma.
C'est la plus célèbre des réalisatrices françaises mais tu n'as peut être vu aucun de ses films. Alors, par lequel commencer ?
Si le cinéma d'Agnès Varda, défunte en 2019, t'es complètement étranger, comble du bonheur, Netflix n'a pas oublié ce qui restera certainement son plus grand film. A savoir ? Son deuxième long-métrage de fiction, Cléo de 5 à 7. Sorti en 1962, la même année que Jules et Jim de Truffaut et Vivre sa vie de Godard, ce classique relate les flâneries parisiennes d'une jeune chanteuse - Cléo, donc. Déambulations très mélancoliques...
Car voilà : Cléo transporte avec elles des nouvelles pas forcément heureuses - ses tout derniers résultats d'examens médicaux. C'est le pas lourd qu'elle traîne ses guêtres dans une capitale grouillante. Un postulat qui pourrait rebuter et pourtant, de ce pitch mortifère découle une oeuvre débordant de vie. Et de cinéma. Car Agnès Varda a fait le pari d'étendre l'action du film en temps réel, concept fort et stimulant.
Cléo de 5 à 7, c'est un film emblématique de ce que la Nouvelle Vague a implanté dans l'imaginaire collectif, et dans le paysage cinématographique hexagonal. Mise en scène d'une liberté totale, mouvements constants, urbanisme, caméra au plus près des individus, sans oublier la rupture avec les règles narratives habituelles (Agnès Varda privilégie l'expérience du temps vécu et met donc de côté les ellipses !)...
Mais le tout se voit ici transcendé par un point de vue féminin, qui vient offrir ce que ce mouvement révolutionnaire n'a pas forcément privilégié : un portrait de femme d'une rare sensibilité. Impossible de ne pas s'attacher à cette Cléo qui foule l'asphalte comme si demain n'existait pas. Au départ anonyme, elle devient au fil des pas une extension de la Ville-Lumière où elle déambule, le coeur de tout, son centre de gravité.
Bref, c'est blindé d'idées de mises en scène, incarné, féministe - porteur d'un certain "female gaze" analysé par la critique cinéma Iris Brey dans ce super essai éponyme - et aussi, bien sûr, poignant. Et c'est à dégoter illico sur Netflix. Avant d'enchaîner avec tout le reste bien sûr !