Les accusations pleuvent depuis des semaines contre l'influenceur Dylan Thiry. On te résume la chose ? L'ex star de téléréalité est accusé de trafic d'enfants, de proxénétisme, d'escroquerie... Dylan Thiry nie tout mais l'intensité des publis diverses qui lui sont dédiées chaque jour, elle, ne baisse pas. Tant et si bien que le 8 mai dernier, le jeune homme a carrément annoncé sur Twitter "faire un break" et quitter les réseaux sociaux.
Mais il y a une accusation à son sujet qui, elle, est plutôt de l'ordre du symbolique. Une chose qui ne peut pas être réprimée par la justice - et ce n'est pas pour autant qu'elle n'est pas problématique, loin de là. A savoir ? Sur les réseaux sociaux, on accuse Dylan Thiry de se la jouer "white savior". Sauveur blanc, littéralement.
Ca veut dire quoi au juste ?
En fait, il n'y a pas que les internautes, dont certains influenceurs noirs, qui emploient l'expression pour évoquer le cas de Dylan Thiry et ses publis les plus dérangeantes sur les réseaux. La presse aussi, et même la presse étrangère. Ainsi le média anglophone Euronews épingle volontiers "ce jeune homme riche de France nommé Dylan Thiry", notamment pour toutes les vidéos (virales) qu'il a pu tourner à Madagascar en compagnie d'enfants en manque de nourriture, d'eau, de vêtements.
Mais pourquoi blâmer des actions caritatives ? Et bien, parce que dans ce cas, elles peuvent surtout apparaître comme une façon de se faire du buzz sur la misère du monde, en se mettant davantage en avant que la cause défendue. Se la jouer mélo afin de multiplier les like, ou pire encore, de la monnaie sonnante et trébuchante. Dans tous les cas, on appelle ça de la manipulation, qu'elle soit émotionnelle ou autre...
Mais surtout, le souci est de se jouer d'un stéréotype que beaucoup associent à tout un imaginaire dit "post-colonial" : celui du "white savior", donc. A savoir, "une personne blanche qui agit pour aider les personnes non blanches, dans un contexte qui peut être perçu comme égoïste ou promotionnel", dixit Euronews. Dans le cas des influenceurs, cela prend souvent la forme de selfies en compagnie de familles ou de gosses désespérés, mises en scène bien tire-larmes censées démontrer à quel points les actions valorisées tiennent quasiment de l'héroïsme.
Sur Twitter, on déteste particulièrement ce tableau, et on le dit.
Pour la créatrice du blog mode Black Beauty Bag par exemple, Dylan Thiry "utilise la misère en Afrique pour son branding". Les internautes abondent : "Je sais pas comment me placer face au comportement de white savior de Dylan, j'ai du mal à croire aux actes de bonne foi sans arrières pensées", "Ton égo de white savior crève le plafond c'est dingue de pas comprendre ça", "Le pseudo sauveur de l'humanité, white savior de mes deux, fait encore parler de lui pour son comportement détestable"... Pour certains même, en multipliant les vidéos dites humanitaires, "Dylan Thiry exploite des enfants africains, et ce sans flouter leurs visages [...] White savior de merde !".
Des attaques virulentes donc. Mais elles ne sont pas vraiment illégitimes. Car le "white savior", aussi appelé "complexe du white savior", c'est un truc qui ne date pas d'hier. D'où l'énorme ras le bol.
Tu devines bien que cette appellation ne se limite pas qu'à notre Dylan Thiry national. Le titre pas si gracieux de "white savior" peut se rapporter à mille personnages de films : Michelle Pfeiffer dans Esprits rebelles, Emma Stone dans La couleur des sentiments, Kevin Costner dans Danse avec les loups, Viggo Mortensen dans Green Book, ou encore le Jake Sully du premier Avatar... D'un genre à l'autre, le schéma narratif est toujours le même. Quand un personnage blanc intègre une communauté racisée et représente en son sein un échappatoire inespéré, un véritable Sauveur qui ne dit pas son nom, oui, là, on peut vraiment parler de "white savior".
Le reproche a aussi pu être fait à Tom Cruise pour Le dernier samouraï, Sean Connery pour A la rencontre de Forester, Leonardo Dicaprio pour Blood Diamond, Bruce Willis pour Les larmes du soleil... Tu vois, aucune star n'y a échappé, car ce poncif-là est vieux comme le monde. Ou en tout cas, comme l'industrie du spectacle.
Un mec plus privilégié que les autres s'incruste dans une sphère qui l'est moins et offre aux pauvres, locaux et/ou aux marginalisés, une chance de s'en sortir, quitte à jouer la carte du sacrifice quasi-christique. Et ce sans qu'on lui ait forcément demandé quoi que ce soit. Sans le savoir, tu es déjà tombé sur un film de "white savior".
On pourrait se dire que le plus important dans ces récits qui ont encore la cote à Hollywood - mais de moins en moins vu les critiques que se prennent ces stéréotypes - c'est l'idée de solidarité, d'union entre les classes sociales, voire entre les peuples concernant certains films historiques. Un truc universel à la "We are the world". Bémol : en fait, l'archétype du "white savior" place le blanc - et le plus souvent l'homme blanc - au centre de tout. Comme s'il était une figure hégémonique vers laquelle tout devait forcément converger : histoire, enjeux, résolution...
Et ca, c'est plutôt chiant, quand la culture populaire est aussi censée promouvoir la diversité, l'inclusion, les représentations les plus diversifiées qui soient. Tiens, c'est un peu comme l'omniprésence des persos hétéros dans les films et les séries : à force, on peut croire qu'il n'existe que ça comme schéma. Ce serait ignorer les autres sexualités, et aussi les spectateurs et spectatrices qui s'y reconnaissent. Tout un pan du public se voit exclu.
La diversité, mais surtout l'honnêteté, et un soupçon de responsabilité, c'est justement ce que recherche volontiers le public aujourd'hui, et pas simplement sur Netflix ou dans une salle de cinéma. Quand ils consomment le contenu viral de créateurs suivis par des millions de personnes, aussi. Ca se comprend.