Purebreak : Ton nouvel album s'appelle "Je suis en vie". J'ai d'abord cru que tu voulais adresser ce message à ton public où cas où il en doutait. Et puis en l'écoutant, je me demande si ce n'est pas plutôt toi qui en doutais...
Akhenaton : Beaucoup de gens pensent que c'est une affirmation artistique alors que c'est une affirmation de vie ! Malheureusement ces dernières années j'ai perdu beaucoup de gens qui m'ont élevé et qui ont fait mon enfance. Jusqu'à il y a trois ans, j'avais la chance d'avoir mes parents et mes quatre grands-parents. Et aujourd'hui je n'ai plus que ma mère. Quand tout arrive d'un coup comme ça, tu as l'impression d'être un punching ball. Je n'étais pas préparé. C'est ce que j'exprime quand je dis : "L'univers a ses règles, un jour on nous percute". A ce moment là soit tu pars vers le bas, soit tu pars vers le haut. Ces épreuves m'ont permis de réaliser ce qui était important pour moi, de définir ce qui était précieux. D'où le choix du premier titre : Tempus Fugit, le temps fuit.
Cette peur du temps qui fuit, tu y as été confronté dans ta vie privée,. Mais est-ce que cela t'angoisse aussi dans ta vie artistique ?
Pas du tout ! Aujourd'hui je vis mieux les choses parce que je me suis débarrassé, dans mon coeur et dans mon esprit, de tous les enjeux. Arrive ce qui arrive, et moi je fais juste ma musique. J'ai pris un amusement dingue à enregistrer cet album en si peu de temps. J'ai écrit dans le tour bus entre deux concerts avec IAM jusqu'à cinq minutes avant de monter sur scène, j'ai passé des journées entières à New York sans sortir du studio d'enregistrement... Je n'ai pas arrêté un seul instant depuis avril. J'ai travaillé tous les jours mais il y a eu des très bons moments. Je l'ai vécu, j'ai fait mon kiff !
C'est à cause de cette façon de travailler ultra rapide et condensée que tu sors un album tellement personnel ? Il y a des titres sur ta vie, tes enfants...
Le morceau Souris, encore [NDLR : sur ses enfants] est le seul qui avait déjà été écrit à moitié pour Arts Martiens. Mais il était trop personnel alors je l'avais mis de côté. Je tenais vraiment à faire ce morceau sur ma fille, sur mes enfants qui est aussi et surtout un morceau sur la liberté. J'ai une vision très libre de la manière dont mes enfants gèrent leur cursus scolaire, leurs orientations philosophiques et religieuses, leurs amours... Si ma fille se voile je l'aimerai autant qu'aujourd'hui, si ma fille devient punk rock avec les cheveux roses, je l'aimerai aussi autant. Je m'en fous tant que ses choix sont faits librement, et non pas parce que c'est "à la mode" ou parce qu'un petit con lui a dit de le faire.
Dans cet album, tu donnes aussi ton avis sur les jeunes générations. C'est un thème que tu avais déjà abordé avec IAM par exemple dans 'Petit frère' qui était un titre plutôt protecteur. Mais qu'aujourd'hui, 'A part les €' est bien plus accusateur...
C'est accusateur d'une orientation de la civilisation aujourd'hui. C'est ce mécanisme qui me gêne. On vit dans un très beau pays mais comme si on avait besoin de le démontrer 850 fois, on veut que les gens qui immigrent dans notre pays s'assimilent. Je suis sûr qu'aux yeux de la majorité des Français, un "musulman intégré" est quelqu'un qui mange du porc et qui boit du vin. Pour moi, c'est une ignomie de dire ça. Mais à aucun moment tu ne vas entendre simplement que c'est quelqu'un qui va à l'école ou qui travaille. Voilà la ligne de ce morceau. Pendant des années on a dit aux jeunes : "La culture de vos parents elle est sympa mais elle ne va pas avec la République. Donc vous allez la laissez de côté et devenir des Français, des occidentaux, des consommateurs" En fait ce titre est une réponse à Marine Le Pen lorsqu'elle a parlé de "l'échec de 50 ans d'immigration". Moi je dis que c'est l'échec de 50 ans de désintégration.
Tu rappes ce titre en duo avec R.E.D.K. C'était important pour toi de partager ce morceau avec un artiste d'une autre génération que la tienne ?
Oui, pour montrer que dans toute génération, il y a des gens conscients, qui réalisent ce qu'il se passe. Je ne dis pas qu'il faut marcher dans la rue avec des valeurs anciennes ou importées d'un pays étranger. Mais je dis que les valeurs qui sont défendues par le libéralisme et le capitalisme agressif sont tout aussi nocives que les formes d'extrêmisme et d'intégrisme.
Dans 'Little Brother is watching you', tu qualifies internet de "culture de la destruction". L'avènement du web a forcément été négatif pour toi ?
Non, on a de la chance d'avoir vécu cette révolution ! Il y a des trucs fantastiques, de vrais idées libertaires, des actions d'associations sur le net... Par contre, quand je m'amuse à aller lire des commentaires dans des forums sur certains artistes, je vois qu'au bout de quatre phrases c'est Goebbels et Hitler ! C'est un truc de fou ! Je pense que les fachos de tous bords, toutes religions et toutes philosophies confondus ont quinze ans d'avance sur tous les autres internautes. Ils ont quadrillé le web dès le début et ils ont envahi tous les forums. C'est quoi ce job ? Avoir la haine et passer sa journée devant l'ordinateur à la deverser ? Tu te rends compte comme tu te pollues, tu t'empoisonnes là !
Dans cet album comme dans depuis le début de ta carrière, il y a deux grosses influences : le Japon et les Etats-Unis. Si tu devais choisir de vivre une deuxième vie dans l'un de ces deux pays, ce serait lequel ?
C'est une question extrêment dure ! J'ai une profonde passion pour l'Asie en générale. Dès que j'ai des moments de libre, je vais au Japon, en Malaisie, en Thaïlande, à Honk Kong... J'irai plus aisément en Asie pour la qualité de vie, pour prendre soin de moi, me recentrer sur des choses essentielles... Mais par contre j'irai sans hésiter à New-York pour vivre une deuxième vie artistique et pouvoir collaborer avec plein d'Américains. Ce serait deux vies complètement différentes ! Une serait une vie trépidante, tourbillonante... et très certainement plus courte ! Et l'autre serait une vie plus peace, plus zen. Mais en fait, j'ai ces deux côtés en moi. Parfois j'ai envie de calme, parfois j'ai envie de chaos.
Tu le dis toi même, si on t'a proposé cet album aujourd'hui, c'est grâce au succès des deux derniers opus d'IAM. Plus largement, est-ce tu penses que sans IAM, Akhenaton aurait existé ?
Je suis un animal de groupe alors je ne pense pas. Depuis le début, on a toujours tout fait en groupe. Bosser avec des amis et partager avec eux, c'est ce qui nous a tous fait progresser. Seul, je n'aurai pas progressé aussi vite. Et puis à un certain moment, il m'aurait manqué le courage de me mettre en avant. A la base, je suis ultra timide. Mais de ces timides qui parlent beaucoup, qui comblent les vides.
Au moment où tu sors ton album "Je suis en vie", Johnny Hallyday débute sa tournée "Rester vivant". Quand tu auras 71 ans comme lui, ton album s'appellera comment ?
"Je suis pas loin" ou "Ca sent le sapin" ! [rires] Aujourd'hui, les gens viennent nous voir après les concerts pour nous dire qu'on bouge plus que quand on avait vingt ans. Je leur réponds que c'est normal, quand on avait vingt ans on faisait les cons, on fumait plein de pétards, on se couchait à 4h du matin ! Maintenant dès qu'on sort du concert, on prend une douche et on dort. Et on fait tous deux heures de sport par jour. Après c'est sûr qu'il y a un âge où on ne tiendra plus à bouger et sauter sur scène pendant deux heures. Même aujourd'hui, il y a des soirs où je suis dans le rouge au bout de huit morceaux, et je finis en roue le libre. Le rap ce n'est pas comme les autres formes de chant ou d'art : l'impact physique d'un concert, la mémorisation... tout est plus important. Si on continue à tourner, peut-être que nos concerts seront différents, plus proches du blues. Il faut juste être conscient de son âge, mais ce n'est pas un drame pour moi. Je ne vis pas le rap de manière jeuniste. Sinon je serai un vieux con de 46 ans qui écrirait des textes avec un cerveau de 16 ans. J'essaie juste de faire des histoires qui me correspondent et que j'assume.
Pour toi, il n'y a pas d'âge limite au rap ?
Pendant des années, on a dit que le rap allait disparaître. Et ça fait 35 ans que ça dure et que ça s'amplifie. Au point que le rap est même passé devant le rock dans les charts. Nous on est parmi les plus anciens. Avec Grand Master Flash qui tournent juste aux platines, on doit être parmi les plus vieux groupes de rap au monde. On verra ce qu'il se passera. Le tout c'est de ne pas surjouer. Quand le couperet de la vie et du temps te dit d'arrêter, il faut le faire et ne pas se poser de questions.
Propos recueillis par Louise Wessbecher. Ne pas reprendre sans citer Purebreak.com
L'album "Je suis en vie" d'Akhenaton est dans les bacs depuis le 3 novembre 2014.