Purebreak : Peux-tu nous raconter ton histoire ?
Ifè : Je suis né en France mais j'ai grandi au Bénin. Je suis revenu en France à l'âge de 15 ans, en 2007. Je suis monté à Paris en 2011, j'ai commencé les Beaux Arts de Paris en 2013. J'ai commencé à toucher un petit peu à la musique à partir de là mais c'était vraiment pour le fun. En 2016, j'ai perdu mon petit frère qui était monté à Paris avec moi. De 2016 à maintenant, j'ai essayé de pousser un peu plus ma passion pour la musique et de prendre les opportunités qui me viennent. Il y avait notamment un étudiant des Beaux-Arts qui m'a proposé de faire de la musique avec eux dans une cave des Beaux-Arts. On a commencé à jammer dans cette salle. Des étudiants qui entendaient le son sont venus voir ce qu'il se passait et, comme il y avait trop de monde, on a commencé à faire des événements dans l'école et puis on a continué dans des bars, dans un festival... C'est comme ça que j'ai vraiment commencé à kiffer faire de la scène, de la musique. Le groupe s'est séparé et j'ai commencé à faire de la musique en collaboration avec d'autres gens.
Comment tu allies les études et les tournages de The Voice ?
C'est vrai que ce n'est pas facile mais vu que j'habite à Paris et que je ne suis pas très loin des studios, ça va. Y'a quand même moyen de moyenner. On essaie de trouver des solutions et d'assurer en tant qu'étudiant, musicien et artiste. Aux Beaux-Arts, ils sont au courant donc ils me lâchent un peu du leste.
Le corps de mon frère a été retrouvé un mois plus tard, le jour de l'anniversaire de notre mère
Tu as perdu ton frère il y a 3 ans, comment est-il mort ?
Le 17 février 2016, mon frère allait à une soirée à Amiens. Quelqu'un devait le récupérer en voiture pour aller à la soirée, c'était le mec qui organisait la soirée. Le gars a perdu le contrôle du véhicule, il était bourré et défoncé. Il a perdu le contrôle, le véhicule a défoncé une rambarde et s'est retrouvé dans la Somme. Les trois ont pu sortir du véhicule, deux ont pu s'accrocher, le troisième a été emporté par le courant. Son corps a été retrouvé un mois plus tard, le jour de l'anniversaire de notre mère.
Comment on surmonte une telle épreuve ?
Quand on vit ce genre d'expérience, on ressent une douleur indescriptible. C'était un véritable film pour moi et j'étais pas vraiment aux premières loges mais dès le lendemain, j'ai appris la nouvelle, je suis monté sur Amiens, j'ai entamé des recherches avec une bande d'amis à lui et à moi. Au début, nous étions sept, au bout d'une semaine, nous étions une quinzaine, et au bout de dix jours, nous étions une vingtaine. On a fait le maximum. La police également était sur l'enquête, les plongeurs aussi. Il y a un plongeur qui est mort dans l'histoire. C'était quelque chose de très très intense. Un film dramatique. Il a fallu garder la tête haute. Je ne saurais vraiment expliquer comment on a pu supporter tout ça, je dirais d'une certaine façon qu'on avait la foi, on pensait qu'il était la vie. On pensait qu'il avait trouvé un moyen de sortir de l'eau, qu'il s'était caché quelque part. jusqu'à ce que son corps soit retrouvé. J'ai été le premier à apprendre la nouvelle. J'ai reçu un coup de téléphone le 13 mars. La veille, j'avais fait une scène pour lui avec mon ancien groupe des Beaux-Arts, c'était génial, et j'ai chanté une chanson qui demandait "Where are you ?" ("Où es-tu ?") et le lendemain, c'est comme s'il m'avait répondu "Je suis là". J'ai appelé ma mère ce jour-là, elle pensait que j'allais lui souhaiter un joyeux anniversaire mais non, je l'appelais pour lui dire qu'on avait retrouvé le corps de Marc-Hervé. C'était un soulagement et j'étais soulagé d'être le premier à être informé de la nouvelle. C'était à moi de transmettre. Je me suis posé des questions, comme tout le monde : pourquoi ? Pourquoi lui ? Ma réponse, c'était "ton frère est parti pour que tu puisses être complet". C'est comme ça que j'ai compris la chose et aujourd'hui, même si mon frère n'est pas là, je dirais que je marche sur Terre et lui dans les cieux, et on continue le même chemin.
La musique a sauvé ma vie
Comment la musique t'a aidé dans cette épreuve difficile ?
Je considère que l'art est salvateur, et la musique également. La musique est salvatrice parce que, quand on chante et quand on écoute de la musique, il se passe quelque chose, ça me fait du bien. Ce concert qu'on a fait la veille du jour où son corps a été retrouvé m'a fait un bien incroyable. La musique a cette capacité de pouvoir changer les émotions et de sauver des vies, tout simplement. D'une certaine façon, ça a sauvé la mienne. Comme je partage ma musique avec d'autres personnes, c'est un sentiment partagé d'autant plus puissant.
Pourquoi participer à The Voice aujourd'hui ?
Honnêtement, j'ai tenté de participer à The Voice il y a deux ans. Je trouvais cette façon de recruter des talents super cool. J'ai envoyé une vidéo et je n'ai pas eu de retour. Je me suis dit que c'était pas grave, que c'était la vie, que j'avais d'autres occupations. J'ai été recontacté cette année et je me suis dit "franchement, pourquoi pas ?". Je me dis que c'est un tremplin pour moi, c'est un tremplin pour rencontrer des gens qui ont l'expérience dans le milieu et que c'est l'occasion de pouvoir travailler avec un coach scénique, avec un coach vocal. Il me fallait un véritable apprentissage. Quand on m'a contacté, je n'ai pas accepté tout de suite. J'ai reçu un message sur Messenger et j'ai cru à un canular et j'ai attendu une semaine pour contacter la personne qui me l'avait envoyé.
Avec Drowning, c'est comme si mon frère me racontait comment il avait vécu cette noyade
Tu as repris Drowning de Mick Jenkins. Pourquoi cette chanson ?
J'ai une véritable histoire avec cette chanson. Je connaissais l'artiste et sa musique mais j'ai découvert la chanson deux ans après la mort de mon frère, j'étais dans ma chambre en train de ranger mes affaires quand je suis tombé sur ce titre. Le texte, la mélodie et le visuel me parlaient à 100 %. C'est comme si mon frère me racontait comment il avait vécu cette noyade. Ça m'a touché. En plus de ça, il y avait le rapport aux bavures policières aux Etats-Unis. Il répète "I can't breath, I can't breath". Il y a comme une sorte de message par rapport à la condition des noirs aux Etats-Unis et partout dans le monde. Ce son me parlait vraiment à 100 % et, assez rapidement, c'est devenu une de mes chansons préférées, voir ma chanson préférée. Aucune chanson ne m'a autant parlé.
Ça t'a fait quoi de voir les 4 fauteuils retournés ?
Franchement, j'ai été fier de voir les 4 coachs se retourner. Pour la petite histoire, j'avais visualisé cette audition à l'aveugle et étant donné que j'avais bossé pour arriver sur cette scène, je voyais que les choses se passaient parfaitement comme je le voulais, je voyais les 4 coachs se retourner et c'est exactement ce qui s'est passé.
C'est comme si Marc Lavoine avait compris mon combat sans même me connaître
Pourquoi avoir choisi Marc Lavoine comme coach ?
Je n'avais pas choisi avant. J'ai choisi Marc parce qu'il a les mots revolvers. Par rapport aux trois autres coachs, c'est lui qui m'a touché directement en plein coeur quand il a parlé. C'est un peu comme si je faisais une peinture. J'ai mis toutes mes larmes, toute ma sueur, toute ma colère dans cette peinture et peu de gens réussissent à la comprendre. Et là Marc Lavoine débarque et a vu tout ce que j'avais mis dedans. C'est ce que j'ai ressenti quand il a fait ses retours par rapport à mon titre. J'ai vu à quel point il avait été ému, j'ai compris qu'il avait vraiment été touché par ma prestation et je me suis dit 'je ne peux pas rater ça'. Un coach qui a autant compris ce que je viens de faire sur scène, comme s'il avait compris mon combat sans même me connaître, je ne peux pas rater ça. Je ne le connais pas, je connais un peu sa musique, son parcours et c'est quelqu'un d'incroyablement grand et humble. Il m'a juste profondément touché.
C'est quoi tes projets pour l'après The Voice ?
C'est pas encore très clair dans ma tête, ça dépendra de la suite de The Voice. Je suis arrivé par passion pour la musique, pour apprendre et je reste un artiste donc mon objectif est de pouvoir continuer à créer à côté de la musique. J'aimerais bien évidemment sortir mon premier EP, mon premier album, en fonction de comment les choses vont évoluer.
Propos recueillis par Marion Poulle. Contenu exclusif. Ne pas reproduire sans citer PureBreak.com.