Comme le disait ce bon Sénèque (le philosophe, à ne pas confondre avec l'ancien pote de Diam's), "Être heureux, c'est apprendre à choisir". Une bien belle pensée qui s'applique en particulier... aux plateformes à la demande.
Qui n'a jamais passé beaucoup trop de temps à chercher que regarder sur Netflix, MyCanal ou encore Prime Video ? Ou à l'inverse, qui a déjà paniqué en voyant sa liste de films et séries "à voir" s'allonger chaque semaine, sans réussir à la vider ? Le Point Pop indiquait que, fin 2018, près de 700 contenus avaient été ajoutés sur Netflix, rien que pour l'année. D'autres chiffres plus récents évoquent entre 1000 et 1500 désormais. Ca vous donne une idée. Ajoutez à ça la multiplicité des plateformes et vous tombez dans un début de cauchemar.
Rien qu'en ce moment, je me sens noyé. La série un peu interminable mais finalement cool Shogun, la trop méconnue Extraordinary ou la tant attendue saison 2 de Bienvenue à Wrexham sur Disney+ / Ricky Stanicky, Road House ou encore #LOVEARMY Où es-tu Jérôme ?, le docu sur Jérôme Jarre sur Prime Video / The Gentlemen, Bandidos, Shirley et Irish Wish sur Netflix... Et encore, je ne parle que des nouveautés vraiment récentes et je n'ai même pas abordé les pépites de SF, en particulier du côté d'Apple TV+. Mes listes voient également s'accumuler de plus en plus de contenus que je n'ai pas eu le temps de voir lors de leur sortie, ou de classiques que je veux rattraper/enfin découvrir.
Face à cette accumulation, impossible de tout voir. J'ai donc fini par céder à une pratique qui va me faire passer pour un sauvageon auprès des puristes mais que j'assume. Dès que c'est possible, je regarde tout ce que je peux en x1.5. Il ne s'agit pas d'un format bizarre mais simplement d'une version accélérée, comme on peut le faire sur YouTube ou TikTok. Ca a d'ailleurs un nom, le "speed Watching".
J'ai bien conscience que ça casse complètement le rythme recherché par les acteurs, les créateurs etc. ou que ça saccage probablement l'oeuvre. De nombreux films jouent d'ailleurs sur ces changements de rythmes. Forcément, ça ne colle pas vraiment avec ce type d'expérience de visionnage. Mais, honnêtement, je ne leur dois rien. Regarder en accéléré a d'ailleurs bien souvent l'avantage de me conforter dans l'idée que je me faisais d'une série ou d'un film. Pire, vu que l'option ne fonctionne pas partout et tout le temps, il m'arrive de basculer sur mon téléphone quand je ne peux pas l'activer sur ma télé. On arrive donc à un combo de vitesse accélérée ET écran réduit.
Et franchement, ça ne m'enlève aucun plaisir. En vitesse x1.5, j'arrive encore largement à suivre sans problème. Je crois même que, paradoxalement, ça m'aide à rester plus concentré sur ce que je regarde que lorsque je suis à vitesse normale. Là, impossible ou presque de faire autre chose en même temps. Un bon moyen de ne plus basculer sur mon téléphone pour répondre à un message ou liker quelques photos sur les réseaux.
Encore un jeune détraqué par TikTok et WhatsApp ? Raté. Je suis plutôt de la génération grand frère, voire plus. Encore une fois, il s'agit simplement de choix. Quand on a un boulot, une vie de famille/sociale, qu'on veut rester informé et aussi se divertir, impossible d'être partout. Et si je pouvais trouver une technique identique pour lire des livres (ou finir cet article) 50% plus vite, je signerais directement.
Difficile de mettre des chiffres officiels et précis sur cette pratique. Une chose est sûre : je ne suis pas seul, loin de là. Millie Bobby Brown en personne l'avouait récemment : "Je ne regarde pas de films. Les gens viennent souvent me voir pour me dire, 'Tu devrais vraiment regarder ce film, ça va changer ta vie', mais je réponds toujours, 'Mais combien de temps vais-je devoir m'assoir pour le supporter ?'". Avant d'ajouter : "Si je regarde un film, je dois absolument faire autre chose. Soit je mange beaucoup trop car je m'ennuie. Ou alors je cuisine, caresse mon chien, surfe sur Internet". Et d'ajouter : "J'en ai besoin, car je ne peux pas juste rester assise à regarder un écran aussi longtemps".
Sur les plateformes de podcasts, sur YouTube ou encore sur TikTok, la pratique du speed Watching est banalisée. Sur les grandes plateformes de streaming vidéo, ça semble plus limité. Netflix est d'ailleurs la seule à le proposer clairement (depuis déjà 2020). Sur MyCanal, il faut par exemple feinter en regardant sur un ordinateur et utiliser un raccourci clavier pour activer ce mode accéléré. Ca tombe bien, il s'agit des deux services de contenus que j'utilise le plus.
Ce mode de (sur)consommation en dit certainement beaucoup sur notre rapport au temps. Et ça conforte aussi sûrement les créateurs dans le fait qu'on ne mérite pas forcément leur travail. C'est probablement vrai. Mais vaut-il mieux "mal regarder" une oeuvre ou ne pas la regarder tout court ? Les deux points de vue s'entendent. Moi, j'ai tranché. Et ça ne m'empêche pas pour autant de savoir apprécier de me poser à vitesse normale. Notamment au cinéma, forcément, même si il m'arrive régulièrement de regretter ce manque de contrôle sur le film.
Avant de venir me traiter de bouffeur de films compulsif ou pire, posez-vous juste une dernière question : avez-vous lu chaque mot de cet article ou l'avez-vous parcouru en sautant des passages pour perdre le moins de temps possible ?