Les titres de ce nouvel album ont tous été enregistrés en même temps que ceux d'Arts Martiens sorti il y a sept mois. Pourquoi ne pas avoir fait directement un double album ?
Akhenaton : Les hypermarchés font la loi, et ne veulent pas de doubles albums pour de simples questions de packaging alors ils mettent la pression aux maisons de disque. Même si on avait la matière pour un double album, on a pris le parti d'attendre de voir si le premier opus marchait. Pour ensuite demander à sortir la suite. On avait déjà fait plusieurs fois ce choix sur des précédents disques sans que cela aboutisse. Mais cette fois le succès d'"Arts Martiens", devenu disque de platine, nous a permis de le faire.
Vous décrivez vous même cet album comme quelque chose de "plus viscéral, plus brut". A l'écoute, j'ai l'impression que c 'est effectivement le cas dans les textes, mais que les instrus sont quand même très "musicales"...
Akhenaton : La séparation de couleur musicale entre les deux albums est complètement involontaire et aléatoire. On a fait nos choix à cinq, en fonction des goûts et des envies. Donc il y a clairement des couloirs entre l'un et l'autre. Par exemple, le morceau CQFD devait être sur "Arts Martiens" mais on a eu un souci de samples dessus donc il a fallu attendre. Alors on a fait passer Notre Dame Veille en premier.
Dans le préambule, Akhenaton tu dis que cet album "n'est pas fait pour danser sur les tables". Est-ce ça veut dire qu'un titre comme 'Je danse le Mia', sorti en 1993, n'aurait plus sa place aujourd'hui dans votre musique ?
Akhenaton : Bien-sûr que si ! Il faut juste le mood pour le faire. Un titre s'écrit quand l'état d'esprit est là. On a eu des instrus qui auraient pu partir dans cette veine là, mais qu'on n'a pas réussi à terminer. On est en création permanente, donc l'album est à chaque fois une photo du moment présent. Si tu déplaces un album de huit mois, le résultat sera complètement différent.
Kheops : Après on en a fait un, on n'allait pas le refaire avec Je redanse le Mia ou le Mia contre-attaque...
Akhenaton : Ou l'Ecole du micro de vermeil !
Kephren : Le Mia c'est toujours nous, c'est le funk et tout ce qu'on aime, mais le polycopié on ne sait pas faire.
Akhenaton : Tu le vois, chez nous c'est rigolade et vannes à longueurs de journées, donc le mood pourrait y être. Au quotidien on n'est pas du tout dans le dark ou dans l'auto-mutilation, ni enfermés sur nous-mêmes !
Mais l'état actuel du pays influe forcément sur votre écriture et votre musique ?
Akhenaton : L'atmosphère générale qui règne en ce moment joue obligatoirement.
Kheops : On est citoyen du pays comme tout le monde. On ne vit pas dans un carton et on en sort au moment de notre album !
Le racisme est justement un thème récurrent dans vos albums, aussi présent dans le dernier "...IAM" et encore plus d'actualité ces jours-ci. Si en 2007 le texte d'Offishall était plein d'espoir, aujourd'hui le morceau 'Ouais c'est ça' est bien plus désabusé. Ca reflète votre état d'esprit ?
Akhenaton : Dans les anciens titres comme Offishall et United, on sortait de septembre 2001, on avait vécu en direct des Etats-Unis le début de la guerre en Irak, une situation absolument tendue. On s'est dit qu'on avait touché le banc de sable, qu'on ne pouvait pas aller plus bas, et que ça allait forcément remonter à un moment. On était plein d'espoir, oui. Honnêtement, six ans après, on n'a non seulement touché le banc de sable, mais on a creusé pour voir si on pouvait aller plus loin. La France est pourtant un beau pays, et les Français devraient un peu réaliser la chance qu'ils ont de vivre là où ils vivent. L'autre problème, c'est que les Français ont un gros défaut : quand ça ne va pas, ils s'en prennent immédiatement à leur voisin. Ils n'arrivent pas à identifier les causes de leurs soucis, alors leurs obsessions se sont les Noirs, les islamistes, ... A ça tu ajoutes certaines chaînes d'information qui font la promotion de la police nationale à longueur de journées avec des morales à deux balles... Et à la fin, il y a des partis qui n'ont même pas besoin de faire campagne. Nous avec notre musique, on a envie de faire partager une toute autre culture du pays. C'est l'essence même du hip hop. On n'est pas obligé de tous se ressembler, mais il faut un minimum se comprendre et se respecter.
Vous abordez un tout autre thème, aussi lié à l'actualité, dans le titre Peines Profondes : le harcèlement sur le web et à l'école. Vous dites vous même que vous avez peur de "passer pour des vieux cons" et pourtant vous en parlez, pourquoi ?
Akhenaton : Parce qu'on est parents ! Quand ma fille me parle d'une embrouille sur Facebook, j'hallucine. Dans la vraie vie si on n'est pas d'accord, on s'attrappe à la fin du cours, on s'explique et une fois que c'est fini on peut aller boire un café ensemble. Le problème sur Facebook, c'est que l'embrouille est sous les yeux de milliers de personnes. Les paroles déplacées et l'humiliation avec. C'est super flippant. Ca peut aller très très loin sur des enfants fragiles qui en viennent à se suicider ou à tuer d'autres personnes. Dans le collège et le lycée de mes enfants, j'ai vu des flics débarquer pour une histoire qui avait commencé sur Facebook. J'ai failli interdire internet à la maison et leur supprimer tous leurs comptes. Bon, je leur ai au moins interdit la télé-réalité depuis qu'ils sont tout petits. En fait, c'est presque Tien An Men chez moi !
Le précédent album se terminait par Dernier coup d'éclat, un titre où vous faisiez vos adieux ou au moins vos aurevoirs. Cette fois avec 'Renaissance', le message est complètement inverse, vous n'êtes pas près de vous arrêtez en fait ?
Akhenaton : Franchement, on ne sait pas. Renaissance c'est un hymne à notre passion pour la musique. Dernier Coup d'Eclat parlait plutôt de notre carrière. Ce sont deux choses complètement différentes. On a eu de la chance pendant plus de vingt ans car la passion et le métier se sont confondus. Derrière on ne sait pas ce qui nous attend mais nous on est pas près d'arrêter la musique. On a grandi avec ça, on ne fait que ça. Et on le fait avec le sourire que ce soit sur des albums à grande échelle et grand budget, ou sur des petits projets dans l'ombre. Mais l'avenir ne nous génère pas de stress ni d'anxiété. On est sur scène jusqu'en 2015 et ensuite on verra. On continue de faire du sport pour tenir la cadence mais un jour on finira peut-être par faire du rap assis !
Kheops : Mais il ne faut pas oublier qu'on est des Marvel, alors qui sait...
A la suite de cette interview, Akhenaton a relevé le défi de Purebreak et rappé plus vite qu'Eminem. La vidéo de ce "record" sur le titre Fuck le refrain, extrait du nouvel album, est à voir par ici.
Propos recueillis par Louise Wessbecher
Contenu exclusif. Ne pas citer sans mentionner Purebreak.com