Chaque fin de saison de l'émission phare de TF1 est digne de la bataille du Mordor : épique, haletante, et pour beaucoup, dévastatrice. Cela a encore été prouvé ce 13 juin avec le dernier épisode de Koh Lanta 2023, le Feu sacré. C'est Frédéric qui s'est finalement vu sacré grand gagnant du jeu d'aventures.
On s'en doute, le vote du jury final, où Frédéric a fait l'unanimité avec 7 voix contre 2, a beaucoup, beaucoup fait réagir. Car cette séquence a largement clivé. Pas forcément pour les raisons qu'on devinerait. Tous les regards se sont précisément portés sur la décision de Laura, Helena et Clémence, bref : le groupe des filles. Pourquoi ?
Car les spectateurs voient dans leur choix collectif - celui d'éliminer à l'unanimité la pauvre Tania - un exemple parfait d'anti-sororité. La sororité, c'est la solidarité au féminin, le fait de s'assurer du soutien entre meufs dans cette société patriarcale qui est la nôtre, là où la solidarité masculine est largement banalisée et fait système.
Les twittos voient rouge après une saison passée à entendre certaines de ces candidates vanter les vertus du "girl power" à tout prix. Et taxent celles-ci d'hypocrites... Quitte à lancer un gros débat de société.
Les tweets virulents s'alignent sur la Toile : "Helena, Clémence, Laura vraiment les Totally Spies du seum. Le girl power qui a été prôné c'était que de la flûte on l'a bien vu dans les votes. D'ici quelques semaines on vous aura oublié, par contre Tania on s'en rappellera !", "Laura qui fait 344 discours girl power avec Clémence qui voulait dégommer les gars et qui finalement vote Frédéric", "Les filles, ces connes. Laura, Helena notamment (Clémence est irrécupérable de toute façon). Ce sont ces meufs qui tirent sur les autres meufs dans la vraie vie"...
"Ces filles sont très débiles. Elles parlent d'alliance féminine mais ne votent pas Tania. En plus elles votent une personne qui était dans l'alliance qui les a élimées et trahies. Elles sont c*nnes", "Ça sait écrire le nom de Tania 35 fois pendant toute l'aventure par contre sur le vote final y a plus personne hein", peut-on encore lire.
Ambiance. Mais par-delà la revue de tweets, ces observations font gamberger : les candidates ont davantage fait preuve de rivalité, plutôt que de solidarité féminine, elles se sont unies pour faire gagner un mec (alors qu'un candidat masculin, Esteban, a voté pour une femme !) et tout cela ferait écho bien au-delà des caméras, à notre société actuelle. Au monde du travail par exemple, et de l'entreprise, où les manipulations et mises en concurrence sont encouragées, d'autant plus lorsqu'elles concernent un genre marginalisé.
De la figure bien réelle de la "girlboss" (la patronne) qui reproduit les mécaniques de pouvoir de ses homologues masculins, à la logique du "diviser pour mieux régner" qui profite bien plus aux hommes qu'aux femmes, en passant par les films et séries qui ont largement banalisé l'idée selon laquelle les alliances de meufs visent surtout le sexe dit "faible" (les gangs de filles à la Lolita malgré moi par exemple, qui ne s'en prennent qu'à leurs "soeurs"), le "girl power" s'avère bien moins facile à appliquer qu'on ne le croirait. En plus, tout cela alimente les clichés les plus sexistes, comme celui du "crêpage de chignons" et des ragots de meufs...
Et Koh Lanta le démontre concrètement. D'un autre côté, les réactions très énervées en disent long sur un profond ras le bol exprimé envers cette absence de sororité, qui, comme tout, doit se construire pour exister. Sur Twitter, on déplore ce geste jugé contre productif et anti féministe au possible : "Les filles pensent que les mecs vont être de leur côté du coup. Mais elles se trompent sur toute la ligne", "Les hommes sont solidaires entre eux à tout prix, tandis que les femmes se battent pour être choisies par les hommes décideurs. A gerber !", "C'est de la misogynie intrinsèque et intériorisée pure et simple", dégomment les internautes.
Avec son système "d'alliance de meufs" et les résultats décevants qu'il génère souvent, Koh Lanta est un miroir de notre quotidien. Jusque dans les opinions hyper clivées qu'il suscite. Alors que beaucoup voient en Laura et compagnie des fanzouzes du patriarcat, d'autres spectateurs alertent : il ne faudrait pas sombrer dans "la guerre des sexes" pour autant.
En fait, ce sont autant de formulations et de contradictions qui alimentent les discussions depuis 2017 et les prémices de la révolution #MeToo. Il suffit de voir l'accueil peu chaleureux réservé à Amber Heard lors de son procès contre Johnny Depp pour comprendre qu'au fond, le sexisme n'est pas perpétré que par les mecs. Et que la solidarité au féminin a parfois tout d'une mission impossible. Un débat qui dépasse largement la télé ?