Sais-tu qui est Frank Abagnale Jr. ? Si tu as vu l'un des meilleurs films américains des années 2000, et pour certains (les plus snobs) le meilleur film de Steven Spielberg, la réponse est "oui".
Le film en question, c'est Arrête-moi si tu peux, à revoir ce soir sur W9 à 21h05, et il raconte effectivement l'histoire de cet Abagnale Jr., jeune homme prodigieux qui à peine sorti de l'adolescence a fui les autorités, falsifié des chèques en série, usurpé des identités et aligné sans aucun diplôme les métiers glorieux (pilote d'avion, médecin, avocat...) tout en étant poursuivi par un agent du FBI bien décidé à... l'arrêter justement, une bonne fois pour toutes.
Un film très très personnel pour Spielberg (qui y relate, comme dans le tout récent The Fabelmans, le divorce de ses propres parents) mais surtout une histoire fascinante transcendée par la performance de Leonardo Dicaprio. Oeuvre qui, vu son succès, a aussi beaucoup profité au vrai Frank Agagnale, devenu du jour au lendemain une légende vivante à travers le monde, l'un des plus magnifiques escrocs qui soient. Il faut dire que ce biopic, très sentimental, rythmé et touchant, dresse un portrait blindé d'empathie du garçon.
Mais la réalité est peut être moins fantasque. Et ca, on le sait depuis très peu de temps, alors que le film de Spielberg a fêté ses vingt ans tout de même. A savoir ? Et bien, le mercenaire de l'usurpation d'identité aurait... tout inventé. Arrête-moi si tu peux serait l'adaptation d'une histoire vraie... où rien n'est vrai.
Rien, ou presque. C'est le New York Post qui en avril dernier a mis les pieds dans le plat en balançant une enquête vertigineuse. Selon cette investigation, Frank Abagnale Jr., qui est devenu conseiller du FBI (quatre décennies durant !) suite à des années de méfaits (présumés) aurait menti sur certaines de ses gros coups, et ce... afin d'attirer l'attention des médias. Comme dirait Fox Mulder : la vérité est ailleurs.
Ce sont un responsable de la sécurité, un agent de patrouille frontalière et un professeur de justice pénale (non, ce n'est pas le début d'une blague nulle) qui se sont appesantis sur certaines de ses déclarations, et de ses conférences (démultipliées avec le succès du film), afin d'affirmer, documents à l'appui, que l'escroc n'aurait notamment jamais usurpé l'identité d'un avocat et d'un professeur d'université. Notamment car au cours des dates qu'il précise au sujet de ces méfaits, l'intéressé était en vérité... en prison.
>> Le meilleur film d'horreur de tous les temps, c'est lui... selon Steven Spielberg en tout cas <<
Une incohérence qui fait plutôt tâche dans le mythe. Et puis, il y a aussi tous les "trucs" qu'aime à décocher Abagnale au sujet des "chèques sans provision" qui ont fait sa fortune (près de trois millions de dollars à l'époque) : des infos techniques "exagérées, trompeuses, ou totalement fausses", dixit les enquêteurs. Ca fait mal quand on sait qu'Abagnale Jr. étale depuis des années sa science de la fraude auprès de banques, de grands magasins...
"Les accusations selon lesquelles Abagnale avait fabriqué l'histoire de sa vie circulaient depuis quelques années, à commencer par le San Francisco Chronicle en 1978 et le Daily Oklahoman peu après. Mais sans Internet, ces histoires n'ont jamais atteint le grand public. Les exploits fantastiques d'Abagnale sont restés incontestés", observe le New York Post. Cette nouvelle enquête, qui prendrait appui sur un dossier de 87 pages contenant d'anciennes coupures de journaux, des documents judiciaires, des lettres de compagnies aériennes, de responsables universitaires, de sources gouvernementales signerait-elle la fin d'un mythe ?
Pas totalement en fait. Comme le relève le New York Post, "une partie de ce qu'Abagnale a dit est vrai" : il a tout de même falsifié des chèques, s'est fait passer pour des pilotes, s'est échappé d'une prison... Mais du reste, on observerait, dixit les enquêteurs, beaucoup "d'exagérations", voire de mensonges purs et durs, autour de cette belle histoire. "Belle" justement, car elle aurait été embellie par le principal concerné. Et ensuite, par Hollywood.
"Abagnale n'aurait jamais prétendu être professeur à Brigham Young ou médecin en Géorgie, ne s'est jamais fait passer pour un avocat au bureau du procureur général de Baton Rouge. Il n'a jamais été consultant auprès du Comité judiciaire du Sénat américain", énumère le journal... Ca en fait, des coups de bluff. Bien sûr, toutes ces assertions ne sont pas des vérités définitives. Juste une flopée de contradictions qui interrogent fortement.
L'ironie de la chose, c'est qu'Arrête-moi si tu peux raconte l'histoire d'un garçon qui fuit la réalité - réalité personnelle, professionnelle, sentimentale... Et si le vrai Abagnale était encore plus trompeur que ça ? Si nous étions face à un véritable cas de mythomanie ? La presse américaine se le demande. Nous aussi, même si cela ne nous empêchera de savourer le plus galvanisant et émouvant des films de Steven Spielberg. C'est dit.