Tenet vient de débarquer sur Netflix. Film-puzzle incompréhensible pour beaucoup, oeuvre majeure dans la filmo de Christopher Nolan, mix réussi de science-fiction et de cinéma d'espionnage, mâtiné de cinéma d'action et de drame intime... Paré de son titre-palindrome, Tenet est tout cela. Et bien plus encore : le film de l'après-Covid, qui a fait revenir les foules dans les salles, cumulant 948.000 entrées en une semaine à peine en France.
C'est tout ? Non. Alors que depuis juillet dernier Oppenheimer cartonne en salles, l'arrivée de Tenet sur Netflix fait émerger une multitude de parallèles entre les deux films du cinéaste britannique. Comme si Nolan voyait en Oppenheimer le prolongement direct de Tenet. Si, si. Prenons le problème en sens inverse : et si l'un annonçait l'autre ? Beaucoup d'indices appuient cette hypothèse. Ne serait-ce qu'une scène, explicite...
>> Sexe, religion et censure : pourquoi Oppenheimer fait scandale (à peine une semaine après sa sortie) <<
Tenet, c'est l'histoire d'un espion découvrant un phénomène aussi vertigineux que les paradoxes temporels : l'inversion de l'inertie des objets. Les balles sont aspirées au lieu de fuser, les explosions "rembobinées", l'ordre logique des choses mis sens dessus dessous. Or, lors d'une séquence, notre protagoniste échange longuement avec une femme, Priya, qui lui explique les teneurs mercantiles et industrielles de la chose. Tout en lui soufflant deux mots : "Robert Oppenheimer"...
Une scène de Tenet voit effectivement notre héros débattre avec cette femme d'influence, comparant la très dangereuse diffusion du processus "d'inversion temporelle" à laquelle il assiste depuis le début de ses périples... Au Projet Manhattan. Le Projet Manhattan, c'est le nom de code de la mise au point de la bombe atomique en plein désert lors de la Seconde guerre mondiale. Organisation gouvernementale, militaire, scientifique, dont le cerveau n'est autre que le brillant et controversé physicien J. Robert Oppenheimer.
"Connaissez-vous le projet Manhattan ? Alors qu'ils approchaient du premier test atomique, Oppenheimer s'est inquiété du fait que la détonation pourrait produire une réaction en chaîne, engloutissant le monde", explique précisément Priya, face à un personnage principal décontenancé - comme nous.
>> Cillian Murphy aurait pu (dû ?) être une rockstar : il a même refusé l'impensable <<
Robert Oppenheimer est cité dans cette séquence dialoguée de Tenet. Pourquoi ? Car il faudrait, précise le personnage de Priya, éprouver face aux inversions d'inertie la crainte qui fut celle du physicien avant de "tester" la fameuse bombe atomique : avoir peur que cette invention ne cause tout simplement "la fin du monde". Point commun entre la bombe, et la technologie de Tenet : ces deux projets sont tenus top secret.
Tenet met donc en évidence l'intérêt que voue Christopher Nolan, grand passionné de sciences dans l'âme, au personnage historique de Robert Oppenheimer, dit "Oppie". Mais aussi sa volonté de nous proposer, plus qu'un récit de science fiction, un vrai film catastrophe, suggérant l'hypothèse d'une apocalypse. Ce n'est pas le destin des protagonistes qui importe alors, mais celui de l'humanité entière. Mais ce n'est pas tout.
Les deux films dressent le même constat de cette humanité : la source de pouvoir, technologique et mortelle (une bombe, des armes inversées), est dans les deux cas détenue par des hommes autoritaires et belliqueux, qui tirent les ficelles dans un système où les valeurs fondamentales (le temps, les vies humaines) importent finalement guère. Entre le cynisme des grands dirigeants et "diplomates" dans Oppenheimer et l'absence totale d'empathie de l'homme d'affaires légèrement psycho de Tenet, c'est un véritable pont qui se dresse.
En somme, Christopher Nolan nous explique dans ces deux films que ce sont les hommes qui, sciemment, provoqueront leur propre perte. La joie ! Dernière chose ? Ce pessimisme diffus permet à Tenet comme à Oppenheimer d'interroger frontalement le sens d'un mot en déliquescence : l'héroïsme.
Le premier met effectivement en scène un James Bond afroaméricain, dynamisant par sa seule présence le paysage très monochromatique des blockbusters US, et ce, tout en ne dévoilant jamais son nom - on le connaît simplement sous le sobriquet de "Protagoniste". Le second présente un scientifique trouble, complexe, ambiguë, érigé en héros par ses pairs, avant d'être crucifié. Deux portraits riches et troubles.
Et deux films fascinants qui d'une scène à l'autre ne cessent de dialoguer entre eux. Allez, qu'est-ce qu'on attend pour (re)voir Tenet ?