Ne peut-on marquer l'Histoire que par des scandales ? Ca, c'est que semble suggérer la réception médiatique d'un grand film : La chute, du cinéaste Oliver Hirschbiegel, sorti il y a vingt ans tout juste. Ce film historique relate la fin d'Adolf Hitler et avec lui, celle du IIIe Reich, dans le Berlin chaotique de 1945.
Mais plus que de tourner la page d'un manuel scolaire, cette oeuvre ambitieuse et dérangeante choisit, et c'était d'autant plus audacieux il y a de deux décennies de cela, de dépeindre Adolf Hitler, et ses proches "collaborateurs"... comme un être humain. Notamment en s'attardant sur sa relation avec Traudl Junge, sa secrétaire. Un individu désemparé, colérique, mais également tragique. Nous est contée la "chute" d'un régime, mais également celle, intimiste, d'un solitaire malade, pathologique.
Un point de vue qui malgré la performance du grand comédien allemand Bruno Ganz a beaucoup fait réagir en 2004, à l'heure de sa sortie en salles. A l'instar de bien des journalistes et intellectuels, Claude Lanzmann, à qui l'on doit l'immense documentaire Shoah, reprochera notamment au film cette humanisation des nazis...
Humaniser Adolf Hitler, ou plus encore ses officiers, témoins de son attitude de plus en plus incontrôlable : une mauvaise idée ? Le débat faisait rage dans les médias internationaux à l'époque. Ainsi Télérama épingle-t-il en 2004 la maladresse "qui fait peur" d'un film "qui fait des derniers jours de Hitler une tragédie shakespearienne" et la journaliste Elisabeth Quin, dans ELLE, le fond problématique d'un "mélo complaisant" qui fait se sentir le public "moitié voyeur, moitié complice". D'autres critiquent encore un spectacle "racoleur"...
Mais si La chute est resté dans les esprits, c'est pour des raisons bien plus déconcertantes. Plusieurs séquences du long-métrage d'Oliver Hirschbiegel ont effectivement été massivement détournées sur Internet, dans un but clairement humoristique et satirique. Notamment, une crise de colère du personnage d'Adolf Hitler en plein conseil des généraux. Séquence impressionnante de par la partition de Bruno Ganz encore une fois (tremblements, sauts d'humeur, jeu très physique) mais qui fut employée comme un "meme", pour illustrer les situations les plus improbables de l'actualité...
Une dérision qu'on pourrait sans trop prendre de risques qualifier de "mauvais goût", et qui, malheureusement, a rapidement fait de l'ombre, viralité du web oblige, au film d'origine, et à ses qualités bien réelles. Résultante du torrent de parodies plus ou moins douteuses qui ont découlé de cette séquence remuante, les internautes et autres trolls en ont vite oublié l'atmosphère réellement glaçante de cette oeuvre acclamée par la critique. Triste.
Raison de plus pour revoir ce film éprouvant et maîtrisé de bout en bout disponible gratuitement en streaming sur 6play.