Quand on a l'habitude de sillonner les rues parisiennes en quête de "sorties" (ce gros mot qui fout bien la pression), force est de constater que le concert apparaît comme une évidence. Vous savez, cette activité sociale qui consiste à rester debout trois heures pour écouter en live un album qu'on connaît par coeur, le tout entrecoupé de cris et d'applaudissements aussi automatiques qu'une réponse de Chat GPT. Le kiff absolu quoi.
Clairement, les sorties ciné, expos et pièces de théâtre ponctuent davantage ma vie que les concerts. Mais si j'en ai vécu d'excellents, le bât blesse dès qu'on se retrouve face à un(e) artiste ou groupe qu'on admire : chanson que l'on attend mais qui sera snobée, ou pire, massacrée (sans parler des medleys, cette invention de l'enfer), beats trop forts qui recouvrent des voix trop timides (concert de rap, je crie ton nom), attente interminable...
Je pensais être condamné à vivre dans le seum ma vie entière concernant cette expérience que j'appréhende tant que je suis même parvenu à voir plus de stand up en trente ans que de chanteurs sur scène. C'est dire ! Et pourtant, ce 28 mars 2024 au Zénith, j'ai adoré ma vie. Oui.
Pour cela, je dois remercier un homme : Pierre de Maere, 22 ans.
Si vous ne connaissez pas Pierre de Maere, résumé des précédents épisodes : en 2022, ce jeune chanteur belge atteint la notoriété avec son tube, Un jour je marierai un ange, qui cumule aujourd'hui 80 millions d'écoutes sur Spotify. S'ensuivra un album et autant de sons fédérateurs, comme Enfant de.
Iconique pour la communauté LGBTQ, Pierre de Maere est un artiste ouvertement gay mais son style, lui, est hétérogène. En écoutant son premier album "Regarde-moi" j'ai découvert une voix tantôt intimiste style piano/voix, tantôt lyrique et décomplexée (il n'hésite pas à foncer dans les aiguës, sans parachute), qu'il fait résonner l'espace de chansons d'amour blindées de métaphores, chansons qu'il théâtralise volontiers : baroques !
Petit bonheur évident dès lors que de découvrir l'autre Pierre de Maere : celui de la scène. Et là, c'est le "bonus" de son univers qui se déploie sous mes yeux : le "personnage" Pierre de Maere, ses élégants costumes qui l'érigent en dandy absolu, ses blagues qui oscillent entre autodérision et mégalomanie romanesque, et son côté "bête de scène" qu'il assume à cent pour cent, quitte à bousculer celles et ceux qui préfèrent les slows.
A ce titre, cette volonté de tout donner pour le public témoigne de vrais élans d'inspiration artistiques, quand les chansons que l'on connaît jusqu'à l'overdose se métamorphosent pour le kiff de l'expérience, sans être dénaturées du tout pour autant. Ainsi, bien que connaissant par coeur ses meilleurs morceaux (J'aime ta violence, Roméo, Enfant de) l'artiste m'a baladé comme un amateur du dimanche en fiançant les genres.
Je m'explique : le concert s'ouvre sur une rythmique rock qui aurait pu introduire un concert de Johnny (d'autant plus que Pierre de Maere n'est pas le dernier à se la jouer iconique, et que les effets pyrotechniques ne seront pas absents), le batteur joue comme si sa vie en dépendait l'espace de solos furieux qui s'émancipent de l'insouciante pop pétillante, et un son fabuleux - Les animaux - qui dans l'album était electro-pop - devient... Une pure expérience techno berlinoise.
On peut dire que la torpeur n'était pas au rendez-vous.
J'ajouterai à tout cela qu'en live, la complicité entre son public et lui est limpide. A ses blagues, son euphorie, ses danses... On se surprend à chanter en choeur (mal) et bouger nerveusement (encore plus mal) sous ses encourageantes sollicitations. Les chansons deviennent des hymnes. Et c'en est même touchant : lorsqu'il nous explique que sa voix est fragilisée depuis quelques jours, ses fans chantent de plus belle. L'aveu d'une certaine vulnérabilité de sa part, et la déclaration d'amour d'un public de l'autre. Sympa, non ?
C'est ce qui m'a carrément parlé : cet équilibre entre le show du perso "too much" qui assume ses exubérances (trop pour certains : dans mon entourage, Pierre de Maere clive... dois-je changer d'amis ?) et un côté beaucoup plus "proche de nous", fragile, par son humour, et sa voix - entre deux chansons ou interludes, on l'a vu tenter de reprendre son souffle.
Pierre de Maere ne craint pas, même quand il se donne à fond dans un spectacle très bossé, de dévoiler une certaine vulnérabilité. J'ai direct pensé à cette phrase qu'il sort dans Les animaux : "Les hommes ont peur des sentiments". Lui, non. Et ça se ressent sur scène. C'est là sa grande force.
Merci pour tout, Pierre.