PureBreak : D'où est venue l'idée de cette association ?
Mélanie Toubeau, co-fondatrice et secrétaire générale des Internettes : Cette association, qui a 2 ans maintenant, est venue du constat qu'il y a des femmes sur YouTube, mais elles ne sont pas extrêmement visibles. Il y a eu par exemple des conventions où, sur une soixantaine d'invités, il y a avait seulement 3 femmes. On s'est dit que c'était un peu étonnant et pas très logique, en sachant que les co-fondatrices des Internettes viennent toutes du milieu de la vidéo Internet, que ce soit en tant que réalisatrice, chroniqueuse, développeuse ou autre. On s'est dit qu'il fallait faire bouger les choses. A l'origine, on était un collectif puis on est devenu une association pour mettre en avant des créatrices qui sont de plus en plus nombreuses ou qui étaient déjà là mais que personne ne connaissait.
Comment se traduit l'inégalité hommes/femmes sur Youtube ?
Ça se traduit sur plein d'aspects. D'abord, la visibilité. Quand on va sur Youtube, c'est très dur de trouver une chaîne de nanas en tendances parce que les chaînes de femmes ne sont pas énormément suivies, ce qui fait que le ratio ne leur permet pas à elles d'y être, sauf certaines très grandes comme Emy LTR ou Natoo qui, elles, y sont assez souvent. On voit beaucoup de chaînes d'hommes. Il y a un deuxième exemple : on a une chaîne Youtube Les Internettes et on est abonné à uniquement des chaînes de femmes (plus de 300) et pourtant, les seules chaînes qu'on nous propose sont des chaînes d'hommes. L'algorithme Youtube ne se rend pas compte qu'on ne suit que des femmes et nous propose que les plus connus, à savoir Cyprien, Norman, etc.
Quel(s) changement(s) Youtube devrait-il opérer ?
Ce qu'on aimerait bien, c'est que Youtube se sensibilise à ça et mette en avant plus facilement des chaînes de femmes, que ce soit avec une playlist particulière ou juste en essayant de casser cette routine là et faire plus attention à ça. On a aussi un autre problème : certaines femmes, sur leur chaîne, parlent de leur rapport à leur corps, à leur féminité, sauf qu'en fait, Youtube démonétise ces vidéos là. C'est pour ça qu'on a lancé la campagne #MonCorpsSurYoutube la semaine dernière. Une vidéo qui est démonétisée, dès le début, n'est pas envoyée aux annonceurs et touche beaucoup moins le public et sont moins mises en avant.
Est-ce que, depuis le lancement du hashtag, vous avez reçu beaucoup de signalements ?
On a reçu beaucoup trop de témoignages. Énormément de vidéos qui parlent du corps sont quasiment intégralement démonétisées. Ce qui a changé avec ce hashtag, c'est qu'on a pu se rendre compte de ça, et du fait qu'il y a un côté assez arbitraire. Il y a des chaînes d'hommes qui parlent du corps de la femme, dont les vidéos ne sont pas démonétisées. Nombreux youtubeurs hommes ont pourtant poussé un coup de gueule contre la nouvelle politique de démonétisation de Youtube... Il y a plusieurs exemples et contre-exemples. La chaîne Dans Ton Corps avait fait une vidéo sur le pénis qui a été démonétisée puis remonétisée, et une vidéo sur le clitoris qui a été simplement démonétisée. En parallèle, Nota Bene vient de sortir une vidéo sur le sexe au Moyen-Age qui n'a pas du tout été démonétisée. Alors que des chaînes comme celles de Sophie Riche ou Manon Bril qui parlent du corps de la femme ont tout de suite été démonétisée.
Comment expliques-tu cela ?
Justement, c'est ça le souci. On aimerais bien avoir une réponse réelle de Youtube. On en a eu une qui disait que si les vidéos sont démonétisées, c'est parce que les annonceurs ne veulent pas suivre ces vidéos là, ce qui pourrait être logique sauf que ça touche beaucoup de chaînes de femmes et pas celles des hommes. C'est là où on se dit qu'il y a peut-être un vrai problème de sexisme. La seule réponse de Youtube et que ce serait la faute des annonceurs, ils ont retourné la question pour se dédouaner. On aimerait avoir une réponse un peu plus sincère.
Pensez-vous que les réseaux sociaux peuvent servir la cause de Youtube ou, au contraire, la desservir ?
Les réseaux sociaux aident les femmes à libérer la parole par rapport à Youtube. C'est un outil beaucoup plus simple à utiliser (sans matériel, tournage, montage). On a pu voir avec le hashtag qu'une fois qu'il est lancé, il ne s'arrête plus. Si on lance un appel, il va prendre des proportions et il va, on l'espère, arriver à bon port et réussir à toucher Youtube France puis US. Après, le problème avec les réseaux sociaux, c'est que les bonnes personnes peuvent prendre la parole, comme les très mauvaises et c'est ce qu'il fait le plus peur. Le cyberharcèlement peut être très violent.
Avez-vous reçu des réactions de haters ?
Si, mais ce sont des petites choses. Souvent, ce sont des gens qui ne comprennent pas, qui se disent que ce n'est pas la faute de Youtube. Ça, nous-mêmes on ne le sait pas. Après, il y a des gens qui, dès qu'on parle du corps de la femme, montent dans les tours mais ça, on ne peut pas y faire grand choses.
Depuis le lancement des Internettes, avez-vous remarqué une évolution de la place des femmes sur Youtube ?
Oui, c'est notre grand plaisir. Depuis qu'on s'est lancé, beaucoup de femmes se sont lancées sur Youtube. Notre parole principale, c'est : fait ce que tu as envie de faire, aies confiance en toi, il n'y a que toi qui peux y arriver si tu t'en donnes les moyens et, je pense que c'était le petit coup de pouce que beaucoup attendaient. Après, on a beaucoup d'actions qui nous permettent de faire évoluer la place des femmes. On partage sur notre page Facebook et sur Twitter une vidéo de femme par jour. On a aussi des sites de formation, des masterclass où on invite des créatrices et futures créatrices à venir se former sur divers sujets de Youtube (sujet, musique, community management). On va lancer dans quelques semaines la deuxième saison de notre concours des Pouces d'Or.
En quoi consiste-t-il ?
On va l'annoncer d'ici quelques semaines. C'est un concours qui est ouvert à toutes les créatrices francophones féminines, qui permet de pouvoir gagner une reconnaissance, mais aussi de quoi s'acheter du matériel pour les meilleures créatrices, ainsi qu'un coaching de la part de nos jurys, dont Cyprien cette année. Ça nous fait plaisir parce que, l'année dernière, certains vainqueurs ont explosé après la mise en avant des pouces d'Or.
Le 21 mai dernier, Cyprien a dénoncé le manque de filles sur la page tendance de Youtube et a mis en avant les Internettes. Comment en est-il arrivé à vous soutenir ?
On n'était pas du tout au courant de ce tweet, il l'a fait de lui-même. A ce moment là, on lui avait déjà demandé de faire partie du jury. Le monde de la vidéo internet est assez petit. On commence à avoir une place assez forte et les youtubeurs nous connaissent, ce qui nous a permis de l'approcher. Il a accepté avec grand plaisir de faire partie du jury parce qu'il fait partie de ces youtubeurs qui défendent cette cause, cette égalité. On sait à quel point il s'investit.
D'autres youtubeurs hommes vous soutiennent-ils ?
Il y en a beaucoup : Dans Ton Corps, Nota Bene, Thomas Hercoët (de la Nuit Originale)... On a une attitude qui est logique donc pourquoi les gens ne nous soutiendraient pas ?
Les youtubeuses sont de plus en plus nombreuses à percer, notamment dans le domaine de la beauté et de la mode. Est-ce plus difficile de percer dans un autre domaine ?
Le milieu de la beauté et de la mode est très féminin, ça permet de faire une sorte de bulle protectrice. Les haters, ça fait peur et mal et les femmes vont plus dans des domaines qui touchent la femme pour pouvoir "rester entre elles" et ne pas se faire harceler. Pour autant, il y a énormément de chaînes qui ne traitent pas de maquillage et de mode. Sur notre Internettes Explorer, on a répertorié 1100 chaînes de femmes francophones et les chaînes sur la beauté et la mode ne sont pas du tout majoritaires. Il y en a beaucoup qui parlent d'histoire, d'art, de littérature, de foot, de mécanique, etc. Il faut juste tout simplement les chercher.
Propos recueillis par Marion Poulle. Contenu exclusif. Ne pas reproduire sans citer PureBreak.com.