Soprano a l'accent qui chante et un débit de parole impressionnant. Lorsqu'on le rencontre en interview, il se livre sans retenue, raconte ses anecdotes heureuses et malheureuses mais ne quitte jamais son sourire. Pourtant dans Mélancolique Anonyme -sorti le 9 mai aux éditions Don Quichotte-, on découvre l'histoire d'un adolescent manquant de confiance en lui, renfermé sur lui-même. Au fil du temps, c'est l'écriture qui l'a sauvé. Dans ses textes de rap d'abord, et dans ce livre aujourd'hui qu'il qualifie de "thérapie". Alors forcément, il était hors de question que quelqu'un d'autre raconte sa vie : "Je voulais que ce soit mon histoire, mes mots. Ce n'est peut-être pas parfait, mais c'est moi".
Pourquoi avoir eu envie d'écrire cette autobiographie à ce moment précis de ta vie ?
Soprano : A la base, ça ne devait pas être une biographie. Je voulais juste raconter des histoires qui me sont arrivées pour essayer de passer un message positif, dire que ce mec des quartiers qui est noir et qui a une casquette à l'envers, il a réussi à faire quelque chose de sa vie. Plus j'écrivais ces anecdotes, plus je me suis dit qu'il fallait aussi que je me présente, que j'explique qui je suis pour qu'on comprenne mes choix. C'est comme ça que c'est devenu une autobiographie. Et si j'ai tenu à l'écrire, c'est parce que je me dis que tout ce que j'ai traversé, il y a beaucoup de jeunes qui le traversent. De voir que ça m'est arrivé, ça peut les aider à dépasser leurs difficultés, leur mélancolie, leur dépression...
Il y a un paradoxe entre l'adolescent assez isolé et renfermé sur lui même que tu décris, et le fait de te livrer d'abord dans tes chansons puis aujourd'hui dans ce récit à des milliers de gens...
Ca fait partie de ma "thérapie". Le petit qui était réservé, limite autiste car très renfermé, il s'est ouvert grâce à l'écriture. Il a parlé aux gens, il a enlevé sa timidité, même si elle est encore là de temps en temps-... Si je l'écris dans ce livre, c'est parce qu'aujourd'hui je suis conscient que je suis heureux. Il y a eu des périodes de ma vie, au moment du carton de Puisqu'il faut vivre par exemple, où j'étais plongé dans une dépression qui m'a malheureusement poussé à vouloir faire une bêtise. Mais le fait de l'écrire me fait dépasser tout cela et me donne beaucoup de force.
Tu écris que tout au long de ta carrière, ton but a été de "se faire connaître du plus grand nombre", de te défaire de l'étiquette un peu simpliste du rappeur, et de casser les clichés qui vont avec. Est-ce que ce livre est la continuité de ce travail ?
Oui et ça va très loin ! J'ai quand même décrit une journée de mon quotidien avec ma femme et mes enfants. Dans la tête de beaucoup de gens, le rappeur doit avoir une belle voiture, doit parler mal, doit être macho, doit être bling bling, doit être ci, doit être ça... Je suis tout le contraire de ces clichés-là. Et il y en a plein d'autres comme moi ! Je me souviens d'une discussion avec ma belle-famille où ils me disaient 'Toi tu ne fais pas du rap parce que le rap c'est violent'. Mais non, le rap ce n'est pas violent ! Il y a de la violence, comme il y a de la douceur, de la poésie, du festif... Mais malheureusement ce cliché persiste. Après les derniers événements qu'il y a eu -comme l'histoire Booba et Rohff dans la boutique- des émissions m'ont déprogrammé parce qu'ils ne voulaient plus de rappeurs. Tu vois, c'est pour ça qu'il faut que je casse des clichés !
Cela fait quinze ans que tu essaies. Pourtant rien ne change. Cette fois, ça va marcher ?
Ce qui me motive, c'est le nombre d'albums que je vends. On a l'impression que des rappeurs qui véhiculent une certaine image vendent beaucoup plus. Mais c'est faux. Les 400 000 personnes qui achètent mon album, ils pensent comme moi en fait. Ce public s'il me suit, c'est qu'il adhère à mon message. Voilà ce qui me motive à continuer dans cette direction.
Parmi les nombreuses anecdotes de ce livre, tu racontes ta rencontre avec Akhenaton qui a été le démarrage de ta carrière et de celle des Psy 4. Comment ça s'est passé ?
C'était un truc de fou. Nous à l'époque, on était fans, on connaissait ses chansons par coeur, alors la première fois qu'il nous a appelés, on croyait que c'était une blague ! Quand il nous a finalement donné rendez-vous, c'était dans un restaurant. A l'époque j'avais 16 ou 17 ans, Vinz pareil, Alonzo avait 14 ou 15 ans et c'était la première fois de notre vie qu'on allait au restaurant. On était là à se demander pourquoi il y avait deux cuillères, deux fourchettes, deux assiettes, et en plus en face de nous, il y avait Akhenaton ! Ce moment il était vraiment bizarre. Si quelqu'un avait filmé, je pense qu'on se serait moqué de nous. On ne parlait pas, on était impressionnés. C'était hallucinant !
Depuis tout jeune, tu es fasciné par la culture des Etats-Unis : la musique et le hip hop, mais aussi le style vestimentaire, les séries tv et films... qu'est ce qui te plaît tant dans tout ça ?
Tout ne me plaît pas. La vraie Amérique, c'est pas New York. Les histoires d'armes, la politique... Ce n'est pas du tout mes idées. Mais le côté cosmopolite qu'il y a, ça déchire ! Quand j'étais petit et que j'allumais la tv, il n'y avait que dans les séries US que je voyais des Noirs. Idem dans la musique. Ils ont l'art de faire rêver les gens. Enfin, sauf quand je vois ce qu'il s'est passé entre Jay Z et sa belle-soeur [rires]. Mais à l'époque, ça me faisait sortir de mon quotidien et je me disais que c'était possible. Kriss Kross, Michael Jackson, ils étaient noirs et gamins quand ils ont commencé, et là je me suis dit ok, moi aussi je peux y arriver.
Et si tu avais eu quinze ans aujourd'hui en 2014, tu penses que tu aurais eu plus de modèles en France ?
Ce serait mentir de te dire que c'est pareil. Les générations ont changé, on a grandi avec autant de musique urbaine que de variété française. Et si les idées politiquement parlant n'ont pas bougé, nous, les jeunes, on fait évoluer les choses. Encore une fois, quand tu vois dans les chiffres que la musique urbaine en France est celle la plus écoutée depuis 5-10 ans, on ne peut pas dire que les choses n'ont pas évolué. Aujourd'hui une radio comme NRJ passe du rap, les Restos du Coeur chantent des titres de la Sexion d'Assaut ! Ca avance bien, et les générations qui arrivent ont fait de belles choses pour l'ouverture.
Il y a un chapitre de ta vie, où tu t'es un peu transformé en Jack Bauer. Au lieu de 24h, tu as eu 28 jours pour réaliser l'album "Le Corbeau". Qu'est-ce que tu retiens aujourd'hui de cette période intense, qu'est-ce qu'elle t'a appris ?
Moi qui n'avais pas beaucoup confiance en moi, j'ai compris que je pouvais réussir des choses. Faire un album en 28 jours qui en plus cartonne, tout le monde ne peut pas le faire. J'ai réussi à jongler avec la météo, des +32 degrés de la Guadeloupe au -42 du Canada [il était en tournée au même moment], j'ai pu tenir physiquement, mentalement, enregistrer un disque, et tout ça en étant père. Ca m'a donné beaucoup de force psychologiquement.
Encore aujourd'hui, ton entourage professionnel est constitué de membres de ta famille, d'amis d'enfance... C'est une façon assumée de faire profiter tes proches de ton succès ? Ils te servent de garde-fou face au succès ?
Oui ils sont un garde-fou, mais ça je m'en suis rendu compte après. Au début, je voulais faire profiter mes collègues bien-sûr, mais ça s'est surtout fait naturellement. Les Psy4, c'est mes cousins, et pour les gars de Street Skillz [son label devenu une agence de management d'artistes], j'étais à l'école avec eux, on a toujours eu les mêmes délires, on regardait des clips ensemble... Quand on était jeunes, on était naïfs. On pensait qu'on allait faire comme Drake, acheter un grand terrain avec plusieurs maisons pour installer tout le monde. Mais ça c'était parce qu'on croyait qu'on ne se marierait jamais ! [rires] On a presque réussi quand même. On habite tous à côté, le week-end on va dans un parc ensemble avec nos femmes et nos enfants... mais on a juste pas le grand terrain de Drake !
Tu termines ce livre par un chapitre sur Marseille, tu dis que tu y es né et que tu y "finiras probablement tes jours". Est-ce que tu penses que si ton papa avait émigré à Paris, à Bordeaux ou ailleurs, l'histoire aurait-été différente ?
Il y a un truc qui est sûr, je pense que de n'importe où, j'aurai supporté l'OM ! [rires] Mais peut-être que si j'avais grandi à Paris ou ailleurs, j'aurais eu une autre personnalité. La mentalité de toujours rire pour cacher ses problèmes, c'est très marseillais. Mes principes de "cosmopolitanie", c'est pareil, ils me viennent de Marseille. Après si je n'avais pas grandi dans un quartier, j'aurais peut-être fait du reggae ou j'aurais rejoint un groupe pop. C'est sûr que j'aurais fait de la musique, mais peut-être pas du rap.
Ton prochain album s'appellera justement "Cosmopolitanie", à quoi va-t-il ressembler ?
Le livre m'aide beaucoup dans l'écriture des derniers textes de l'album. Il me rappelle qui j'étais, me montre qui je suis aujourd'hui, et me permet d'équilibrer ma musique. Il y a des idées que j'avais quand j'étais beaucoup plus jeune qui ont changé avec le temps, avec les expériences, avec les rencontres... La vie m'a changé, maintenant j'essaie d'être honnête avec mon histoire. Quand tu as 35 ans et que tes trois enfants vont écouter tes textes, tu réfléchis plus. Et ça devrait se refléter dans mon album.
Propos recueillis par Louise Wessbecher. Contenu exclusif. Ne pas mentionner sans citer Purebreak.com.