Ce vendredi 28 février lors de la cérémonie des César 2020, c'était un peu la consternation : comme beaucoup le redoutaient, Roman Polanski, pourtant accusé de viols par plusieurs mineurs au fil des années, remportait le prix de la meilleure réalisation pour son film J'accuse. Une annonce qui a fait l'effet d'une bombe sur les réseaux sociaux et même dans la salle. Adèle Haenel qui n'avait pas caché son dégoût de voir l'homme nommé, a quitté la salle juste après le résultat. Et on dirait que le geste de la star qui a révélé l'an dernier avoir été victime d'attouchements et de harcèlement de la part d'un réalisateur alors qu'elle était mineure a inspiré Virginie Despentes. Dans Libération, elle dénonce le monde du cinéma, la loi du silence et encense celle qui a osé se lever en protestation.
Fallait-il vraiment s'étonner de voir Roman Polanski remporter le prix de la meilleure réalisation ? Pas selon Virginie Despentes. Dans sa longue tribune à lire en intégralité sur Libération, l'auteure dénonce notamment le monde du cinéma et cette victoire qu'elle juge "insultante", "ignoble" mais à laquelle il fallait s'attendre. "Où serait le fun d'appartenir au clan des puissants s'il fallait tenir compte du consentement des dominés ?" peut-on lire. Elle dénonce non seulement l'Académie mais aussi les investisseurs et les "grands" du milieu de s'être ralliés autour du cinéaste. "Vous serrez les rangs, vous défendez l'un des vôtres. Les plus puissants entendent défendre leurs prérogatives : ça fait partie de votre élégance, le viol est même ce qui fonde votre style." écrit l'auteure de Vernon Subutex. Selon elle, c'est donc d'abord la participation financière à J'accuse que l'industrie du cinéma, via les César, a récompensé. "C'est toujours l'argent qu'on célèbre, dans ces cérémonies, le cinéma on s'en fout. Le public on s'en fout. C'est votre propre puissance de frappe monétaire que vous venez aduler. C'est le gros budget que vous lui avez octroyé en signe de soutien que vous saluez - à travers lui c'est votre puissance qu'on doit respecter." déclare-t-elle.
Virginie Despentes tacle les puissants qui veulent "avoir le contrôle des corps déclarés subalternes.". "C'est votre politique : exiger le silence des victimes. Ça fait partie du territoire, et s'il faut nous transmettre le message par la terreur vous ne voyez pas où est le problème." peut-on lire. "Ça fait des mois que vous vous agacez de ce qu'une partie du public se fasse entendre et ça fait des mois que vous souffrez de ce qu'Adèle Haenel ait pris la parole pour raconter son histoire d'enfant actrice, de son point de vue." ajoute-t-elle.
Quand on parle du silence, l'auteure dénonce non seulement le côté lisse de la cérémonie des César lors de laquelle seule Florence Foresti s'est accordée des blagues autour de l'affaire Polanski mais aussi la loi du silence dans l'industrie de manière générale. "Si le violeur est un puissant : respect et solidarité. Ne jamais parler en public de ce qui se passe pendant les castings ni pendant les prépas ni sur les tournages ni pendant les promos. Ça se raconte, ça se sait. Tout le monde sait. C'est toujours la loi du silence qui prévaut. C'est au respect de cette consigne qu'on sélectionne les employés." écrit l'auteure.
"Pendant les cérémonies de cinéma français, on ne blague jamais avec la susceptibilité des patrons. Alors tout le monde se tait, tout le monde sourit. (...) Les uns les autres savent qu'en tant qu'employés de l'industrie du cinéma, s'ils veulent bosser demain, ils doivent se taire. Même pas une blague, même pas une vanne. Ça, c'est le spectacle des César." peut-on aussi lire. Et d'ajouter au sujet de Portrait de la jeune fille en feu, le film dans lequel joue Adèle Haenel et qui n'a remporté qu'un prix (celui de la meilleure photographie) : "Ils savent que si Portrait de la jeune fille en feu ne reçoit aucun des grands prix de la fin, c'est uniquement parce qu'Adèle Haenel a parlé et qu'il s'agit de bien faire comprendre aux victimes qui pourraient avoir envie de raconter leur histoire qu'elles feraient bien de réfléchir avant de rompre la loi du silence."
Dans son texte, Virginie Despentes encense Adèle Haenel et sa décision de quitter la salle lors de la victoire de Polanski. Elle compare même l'actrice à une "guerrière." "Ce soir du 28 février on n'a pas appris grand-chose qu'on ignorait sur la belle industrie du cinéma français par contre on a appris comment ça se porte, la robe de soirée. A la guerrière. Comme on marche sur des talons hauts : comme si on allait démolir le bâtiment entier, comment on avance le dos droit et la nuque raidie de colère et les épaules ouvertes." écrit l'auteure qui poursuit : "Ton corps, tes yeux, ton dos, ta voix, tes gestes tout disait : oui on est les connasses, on est les humiliées, oui on n'a qu'à fermer nos gueules et manger vos coups, vous êtes les boss, vous avez le pouvoir et l'arrogance qui va avec mais on ne restera pas assis sans rien dire. Vous n'aurez pas notre respect. On se casse. Faites vos conneries entre vous."
C'est avec cette phrase que Virginie Despentes conclut sa tribune et c'est certainement la fin parfaite. Une fin qui souligne le ras le bol de toute une industrie mais pas seulement. "C'est la seule réponse possible à vos politiques. Quand ça ne va pas, quand ça va trop loin ; on se lève on se casse et on gueule et on vous insulte et même si on est ceux d'en bas, même si on le prend pleine face votre pouvoir de merde, on vous méprise on vous dégueule. Nous n'avons aucun respect pour votre mascarade de respectabilité. Votre monde est dégueulasse. Votre amour du plus fort est morbide. Votre puissance est une puissance sinistre. Vous êtes une bande d'imbéciles funestes. Le monde que vous avez créé pour régner dessus comme des minables est irrespirable." déclare Virginie Despentes qui nous invite à la suivre dans son combat.