Vous connaissez l'histoire : un chercheur découvre la formule pour devenir invisible et la teste fissa sur lui... Sans forcément penser aux conséquences. Ca, c'est le postulat de L'homme invisible, récit plus que centenaire du romancier H.G Wells (La guerre des mondes) qui a eu droit à mille déclinaisons et parodies. Mais êtes vous vraiment prêt pour la dernière en date ?
Car Invisible Man (en anglais ca claque déjà un peu plus) a retourné son public lors de sa sortie en 2020. Et compte bien en traumatiser un nouveau en débarquant aujourd'hui sur Netflix. Il faut dire que cette relecture super maligne et efficace du mythe est signée Leigh Whannell, qui n'est autre que le grand pote de James Wan, l'un des maîtres de l'horreur (Saw, Conjuring, Insidious).
En s'emparant du projet, le scénariste reconnu s'est permis de faire un pied de nez aux films de frousse sans imagination : pas de grand spectacle dans Invisible Man ou si peu, mais beaucoup de suggestion et de hors-champ, pas de gore hyper graphique, mais un jeu de mise en scène constant sur tout ce que l'on ne voit pas. Et qui peut d'un moment à l'autre vous sauter dessus.
On pense par exemple à cette scène terrible où un drap jeté par terre en pleine nuit révèle contre toute attente quelques bosses, témoignant d'une présence physique... A crever de flippe, oui. Mais le plus fort en fait, c'est que si Invisible Man fait peur, ce n'est pas à cause de ce qu'il montre. Non, c'est à cause de ce qu'il raconte. Là, ça glace vraiment le sang.
C'est à dire ? Rassemblons les pièces du puzzle : Invisible Man, c'est l'histoire d'un maestro de l'optique qui vit dans un manoir et terrorise sa meuf. Un jour, celle-ci s'enfuit. Peu après, l'ex-compagne apprend la mort de son époux. Mais l'est-il vraiment ? Et quelle est donc cette curieuse création sur laquelle il travaillait jadis ? Cela a-t-il un rapport avec l'ambiance de plus en plus bizarre qu'observe notre héroïne autour d'elle ?
Tu saisis la diff : ici, l'homme invisible n'est pas le perso principal, c'est son ex qui l'est. Et ca change tout. Déjà, car celle-ci est incarnée par Elisabeth Moss, la star de La servante écarlate. Et quand on constate où tout ce récit nous emmène, cette présence féministe n'a vraiment rien d'anodin. Car comme The handmaid's tale, l'un des films les flippants depuis Le projet Blair Witch (oui, on ose) traite en fait d'une horreur hyper-réelle : les violences conjugales et sexistes, les relations toxiques, et même, le fléau des féminicides. Carrément.
Un féminicide, c'est le fait de tuer une femme car elle est une femme. Par pur besoin de domination misogyne. Invisible Man met en scène cette violence genrée qui fait système en nous parlant d'un homme (très) possessif qui va harceler son ex, la menacer physiquement, la faire passer pour folle (elle seule se rend compte de sa présence), l'obliger à la fuite et à l'exclusion, jusqu'à en perdre la raison... Oui oui, comme dans une relation de couple hyper toxique. En fait, si on retire le postulat de SF, Leigh Whannel nous raconte simplement ce que vivent beaucoup trop de meufs aujourd'hui.
Très vite, notre héroïne perçoit la moindre ombre comme une atteinte potentielle à sa sécurité. Bien que son mari soit (présumé) mort, elle le ressent partout. Impossible malgré l'aide des autres femmes (amies, famille) de s'en détacher, comme si elle était sous emprise - c'est à dire dépendante d'un conjoint qui la manipule - et vous vous doutez bien que le mot "emprise" n'est pas le moins hors-sujet dans un film de fantômes. Tout cela sonne beaucoup trop vrai, et on se dit que des victimes de violences ont du franchement se reconnaître dans le perso admirablement bien campé par Elisabeth Moss. Hélas.
Savais-tu qu'en France, 122 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire en 2021 ? Et que parmi ces femmes assassinées, pas moins 35 % étaient victimes de violences conjugales ? Ces chiffres sont ceux de l'Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple, relayée par le ministère de l'Intérieur. Et étrangement, c'est difficile de ne pas y penser quand on mate cette prod' Blumhouse finalement très politique.
Sans jamais balancer de mots-clés trop évidents façon hashtags féministes - ce que fait un film d'horreur tout aussi récent comme Black Christmas, à découvrir également sur Netflix - Invisible Man s'impose facilement comme le premier grand film de frousse post-MeToo, rien que ça. Pour toutes ces raisons et bien plus encore. Il nous rappelle également que le meilleur ciné d'épouvante est avant tout celui qui puise dans le quotidien, notre quotidien. Tu l'as compris, on t'incite franchement à le (re)découvrir sur la plateforme pop.
Et toutes lumières éteintes bien sûr. Bon courage.