Grâce à une performance monstrueuse, récompensée d'un Oscar, qui nous a permis de découvrir un côté passionnant et fascinant du Joker, Heath Ledger a mis la barre très haut dans l'interprétation de ce personnage. Jared Leto s'en est d'ailleurs légèrement cassé les dents lors de son passage dans Suicide Squad, puisque malgré une version proposée de l'ennemi de Batman aussi différente qu'originale, son incarnation n'a pu échapper aux comparaisons et critiques. De quoi faire de ce rôle un rôle désormais maudit pour les acteurs ? Absolument pas.
Car si Heath Ledger a réussi à offrir autre chose que la mémorable interprétation de Jack Nicholson dans le Batman de Tim Burton (1989) et nous faire oublier la (presque) perfection du Joker doublé par un grand Mark Hamill dans le dessin animé Batman de Bruce Timm (1992), c'est tout simplement parce que Mr J possède autant de facettes que de meurtres à son actif. Ceux qui lisent les comics ne le savent que trop bien, il n'existe pas une seule version du Joker. Au contraire, depuis sa première apparition dans Batman #1 (1940), ce grand vilain n'a cessé de se réinventer, passant de gangster à anarchiste ou encore psychopathe sans limites, le tout en gardant bien évidemment certains traits de personnalité bien distincts (l'album "Tout l'art du Joker" d'Urban Comics est d'ailleurs parfait pour s'en rendre compte).
Ainsi, dire "Heath Ledger est LE Joker" n'a aucun sens puisque le Joker est tout ce qu'il veut être et surtout, comme il aime le rappeler, tout le monde peut être le Joker. Mais pas trop non plus au risque qu'il élimine cette concurrence. Et c'est justement ce que nous rappelle avec brio le comédien Cameron Monaghan dans la série Gotham. Si la fiction de la Fox est pleine de défauts, ne peut rivaliser avec les précédentes oeuvres adaptées de l'univers de Batman et que les créateurs semblent limités dans leurs envies et idées (cf le visage-masque inspiré des comics de Scott Snyder au rendu complètement raté et ridicule à l'écran), sa version du Joker est tout simplement exquise.
Le point positif de son personnage, c'est qu'on le retrouve à ses débuts, quand il se cherche et se découvre encore. Par conséquent, difficile de le comparer avec les autres interprétations connues, la sienne étant unique. Et c'est son gros point fort et la meilleure idée possible. Grâce à celle-ci, Cameron Monaghan fait vivre le rôle à sa façon, sans pression, ce qui se ressent complètement à l'écran. Si on omet le problème du visage (qui n'est pas de son ressort), son incarnation se révèle sans réelles fausses notes, malgré quelques "clichés" qui ressortent ponctuellement. Il alterne magnifiquement les moments de folie et noirceur, son excentricité rivalise avec son incroyable voix (hommage à Mark Hamill ?) et ses rires et son sourire évoluent au fil de ses apparitions à l'image et deviennent de plus en plus oppressants et inquiétants.
Il est évidemment trop tôt pour oser dire que le Joker de Cameron Monaghan marque la meilleure incarnation du personnage (celle-ci sera de toute façon injustement sous-évaluée à cause de son origine : Gotham), mais il entre très clairement dans la cour des grands et mérite toute notre attention. Différent mais terriblement fidèle, ce Joker a la particularité de nous laisser imaginer qu'il est capable d'être tous les Joker à la fois. On ne dit pas que Cameron Monaghan peut/doit/va passer de gangster à anarchiste et psychopathe dans la série, mais il nous rappelle que le Joker n'est pas qu'une version de lui-même. Un message souvent oublié et qu'il est bon de répéter.
Au final, ce "Joker an-zéro" marque finalement les prémices de tous nos Jokers préférés et c'est ce qui fait sa force et son originalité. Et si le reste de la série Gotham n'est clairement pas à sa hauteur et n'exploitera probablement jamais son potentiel, on ne peut qu'être heureux d'assister à une telle représentation.