Si Seven vous fait l'effet d'un paquet de Haribo, pas d'inquiétude : l'une des sorties-événement de l'été devrait davantage vous satisfaire. S'exerçant à dépasser le niveau de noirceur déjà abyssal du chef d'oeuvre de David Fincher, ce tout nouveau film de psycho killer défraie la chronique : il s'appelle Limbo et vient de débarquer en salles, après avoir été acclamé dans moult festivals. Et fera, pour beaucoup, l'effet d'une claque.
Limbo, c'est quoi ? Un film en noir et blanc (choix graphique qui valorise le pessimisme de la chose) relatant la traque haletante et sanguinolente d'un tueur en série dans les ruelles poisseuses d'un Hong Kong très très "underground". Au milieu des sans abris et des trafiquants divers, une jeune femme va aider deux inspecteurs à résoudre leur enquête. Elle partage avec l'un d'eux un lourd passé noyé par la culpabilité...
Voilà pour le pitch. Mais Limbo, c'est aussi et surtout un thriller hongkongais, réalité loin d'être si commune dans un paysage cinématographique où les experts des sensations fortes et du cinéma de genre le plus "extrême" et subversif seraient plutôt coréens. On pense (pour ne citer que lui) à Na Hong-jin, auteur du très remarqué The Chaser, autre histoire de psycho killer, de course contre la montre et de traque...
>> La fin de ce film va vous détruire : un film d'horreur sans faille qui a battu des records <<
C'est clairement dans cette veine "radicale" que s'inscrit Limbo. Et il va très loin. Trop ?
Ne pas se fier à son rythme qui le temps d'une première partie légèrement moins remuante fait penser à un autre chef d'oeuvre du genre (Memories of murder de l'Oscarisé Bong Joon Ho) : Limbo est un film clairement pensé pour bousculer son public, le malmener, le jeter à terre. C'est précisément ce que subit durant deux heures le personnage féminin, victime de diverses violences physiques, verbales... Et on en passe.
Ce polar, c'est son histoire, celle d'une femme en quête de rédemption, qui pour ce faire va vivre les pires outrages, dans un monde aux figurants désabusés et/ou marginalisés, où ne subsiste aucun espoir, et où l'ultraviolence n'est pas toujours (que) là où on l'imagine. Le sort de cette protagoniste, qui peut choquer, et doit forcément interroger, sert ce propos... dans une démonstration dépourvue de toute concession.
Limbo, c'est aussi un film qui s'empare d'une intrigue familière (deux flics ambivalents traquent un monstre dans une ville noyée sous la pluie) pour mieux dénoter par ses parti pris esthétiques, en lien avec le discours énoncé plus haut : tout n'est que poisse, crasse et puanteur (c'est d'ailleurs par le nez que l'inspecteur principal traque le tueur), Hong Kong étant dépeint comme une véritable déchetterie à ciel ouvert, et l'enquête évoluant au gré des poubelles, des flaques de boues, de ruelles qui morflent autant que les corps...
Dégueu ? Abject ? Ecoeurant ? Affirmatif. C'est là le point fort du film, qui ne prend jamais de gants quand il s'agit de malmener nos sens, nos yeux et nos nerfs, nous poussant avec joie dans nos retranchements. C'est aussi là son côté le plus dérangeant : l'intention d'une oeuvre qui d'une manière ou d'une autre se complait dans l'abjection qu'il dépeint d'un bout à l'autre. Quitte à en rajouter trois caisses dans le sordide.
Mais en assumant à ce point cette facette, Limbo nous questionne. Et quelque part, réussit son coup. Si l'on ne peut que réagir face à ce que subit sa protagoniste par exemple, on ne peut pas non plus nier que le réalisateur Soi Chean lui réserve des instants de bravoure, comme cette course-poursuite étalée sur dix minutes, ou cette incroyable scène d'autodéfense à base de carcasse de voiture... Protagoniste qui, de perso secondaire, devient rapidement le coeur de tout son récit, son sens-même. Sans elle, Limbo n'existe pas.
Interroger notre rapport aux personnages, notre morale, notre condition de spectateur (a-t-on vraiment envie de morfler dans une salle de cinéma ?) n'est pas la moindre qualité de ce film interdit aux moins de seize ans qui, clairement, ne laissera personne indifférent. Pour le pire, et pour le meilleur. Alors, tenté ?