Les États-Unis, terre sainte du rap et berceau du hip-hop. Pourtant, le courant musical ne brille plus autant sur ses terres natales. C'est ce que nous apprend le magazine spécialisé dans les charts outre-Atlantique, Billboard. En effet, d'après le média américain, il n'y a eu aucun morceau de rap qui s'est installé sur la première place du Top Singles depuis le début de l'année, à savoir presque six mois. Et pire encore, aucun projet de rap ne s'est emparé du trône du Top Albums sur la même période. Il s'agit d'un triste record... puisque c'est une grande première depuis 30 ans ! Mais comment expliquer cette étonnante mauvaise forme ?
Car depuis quelques années, et notamment l'avènement des applications de streaming, le rap est le genre le plus écouté en France, outre-Atlantique, mais aussi dans le monde entier. Seulement aujourd'hui, tout le monde ou presque veut et peut devenir rappeur. Le résultat d'une session peut être accessible très rapidement puisqu'il est possible de publier du contenu quasi-immédiatement grâce à des plateformes comme SoundCloud ou YouTube, qui sont devenues le terrain de jeu préféré des diggers pour dénicher la pépite de demain.
Ainsi, une concurrence de plus en plus massive s'est progressivement installée, avec d'innombrables projets de rap chaque vendredi, jour traditionnellement réservé aux sorties d'albums. Mais cette offre toujours plus grande a un prix : les écoutes sont davantage réparties. Chacun veut se tailler la part du lion, mais la meute ne cesse de grandir et est particulièrement affamée. En gros, la hausse du nombre des artistes rap est proportionnellement supérieure à la hausse du nombre d'auditeurs de rap.
De plus, il n'y a pas eu de grosses sorties rap aux US depuis quelques temps. Si l'on jette un oeil dans le rétro pour observer les numéros Un des ventes d'albums en 2022, on retrouve des incontournables comme Future, Kendrick Lamar - que l'on pourra bientôt voir sur scène au festival Les Ardentes, Drake à deux reprises ou encore Tyler, The Creator. Cette année, de gros artistes s'en sont rapprochés mais n'ont pas réussi à atteindre l'ultime pallier, faute d'un public international moins développé que ceux cités ci-dessus. On peut ainsi penser à Lil Durk, Moneybagg Yo ou bien YoungBoy Never Broke Again. Hasard du calendrier, peut-être. Car si Travis Scott dévoile enfin son tant attendu nouvel album "Utopia" au cours de ce mois de juin, que Kanye West se décide à se concentrer sur la musique pour nous pondre un classique ou encore qu'A$AP Rocky fait son grand come-back, nul doute qu'ils s'empareront des premières places des deux classements en un temps record.
D'autant que cet afflux massif d'artistes ne signifie pas pour autant une créativité revue à la hausse. Le nouvel écosystème de l'industrie musicale s'est mis en place, digérant parfaitement au passage l'arrivée des plateformes de streaming. La productivité est en hausse et ce rythme effréné tend à rendre la musique de plus en plus éphémère. De là à imaginer une overdose des auditeurs ? Il n'y a qu'un pas qu'il est aisé de franchir.
Surtout que l'offre des autres genres musicaux s'est elle aussi étoffée. La musique latino, qui reste l'une des plus populaires et accessibles au monde, l'a bien compris. Des superstars comme J. Balvin, Maluma, Bad Bunny, Ozuna ou Daddy Yankee empruntent de plus en plus les codes du hip-hop et parviennent à séduire des auditeurs historiques de rap à la recherche de nouvelles sonorités. L'afrobeat, avec notamment sa salve d'artistes nigérians comme Burna Boy, Wizkidd, Rema, Omah Lay, Ayra Starr ou bien Davido, monte en flèche et est également un très bon exemple. De quoi expliquer que le rap, à la recherche d'un nouveau souffle après avoir en quelque sorte atteint le pic de sa marge de progression, aille explorer de nouvelles sonorités et incorpore de plus en plus de musique électronique dans sa proposition.
Paradoxalement, le rap ne s'est jamais aussi bien porté que ces dernières années, puisque les tubes du genre cumulent des milliards d'écoutes et trustent déjà les places des morceaux de rap les plus écoutés de tous les temps sur les plateformes de streaming, au détriment des pionniers du hip-hop. Il est toujours (et de loin) le style le plus écouté, son nombre d'auditeurs étant toujours en légère hausse, mais il a pour la première fois depuis de nombreuses années perdu un petit peu de sa part de marché. Même si l'on parle ici d'une baisse de près de 1%, elle est déjà révélatrice d'une tendance des auditeurs.
Mais nombre de figures particulièrement prometteuses qui enchaînaient déjà les hits internationaux sont mortes en cours de chemin. Les meilleurs exemples demeurent le drilleur Pop Smoke, le controversé XXXTentacion et le surdoué Juice Wrld. Les deux premiers sont morts assassinés à l'âge de 20 ans tandis que le dernier est mort d'une overdose à 21 ans. Des talents précoces, qui comptent des centaines et des centaines de millions d'écoutes, partis trop tôt et qui n'ont pas permis au rap américain de se renouveler totalement comme cela aurait dû être le cas. Ajoutez à cela les disparitions de tauliers comme Nipsey Hussle (33 ans) et Takeoff du trio Migos (28 ans), et c'est tout un mouvement culturel qui se retrouve affaibli. Reste maintenant à voir quelle stratégie le rap américain parviendra à adopter afin de regagner les sommets.