Cet album mélange toutes les facettes de ta carrière, il y a de l'égo trip, du rap engagé ou utile comme tu dis, quelques punchlines de rap "marrant" et décalé dont tu avais tenté de te défaire, est-ce que c'est enfin la musique à laquelle tu aspirais depuis le début ?
Disiz : C'est exactement ça ! J'ai appréhendé ce disque comme une synthèse non seulement de la trilogie, mais aussi un retour sur quinze ans de carrière. Il fallait que je montre le passage de l'enfance et de l'adolescence à l'âge adulte. D'ailleurs la thématique du lotus représente ça : une fleur qui pousse dans la terre, traverse l'eau et s'épanouit au ciel.
Pour certains artistes, Rohff en particulier, il est important de différencier des catégories de rap et de ne pas mélanger leur musique avec celles d'autres rappeurs, qu'en penses-tu ?
Pour moi, le rap c'est l'authenticité. Et pas la street crédibilité. J'ai grandi dans les années 80, j'ai écoute plein de musiques, je m'inspire de plein de genres différents... En littérature, je n'aime pas qu'un type de littérature, pareil en cinéma et pareil en musique, je n'aime pas qu'un type de rap. Et ce n'est pas une posture d'ouverture populiste pour avoir un public plus large ! Au contraire je pense que si j'étais plus catégorisé, je vendrai beaucoup plus de disques. Moi ça m'éclate de mélanger les genres.
Dans cet album, impossible de ne pas parler de 'Rap Genius', une logorrhée de près de 8 minutes. Puis il y aussi 'King of Cool', le pendant second degré de Rap Genius. Comment expliques-tu le fait que le genre "ego trip" soit tellement discrédité en France quand c'est l'essence du rap US ?
Tout simplement parce qu'en France, il n'y a pas de médias véritablement rap. Certes il y a de bons journalistes mais ils ne sont pas aux postes clés. On ne sait pas parler de cette musique là. Les gens qui en parlent véhiculent plein de clichés et voit cette musique avec une grille de lecture bien à eux. Aux Etats-Unis, le rap est une culture à part entière. La preuve, Kendrick Lamar est nommé au titre de "disque de l'année" aux Grammy Awards. En France, c'est plus compliqué. Aux Victoires de la musique, il n'y a même pas de catégorie rap, c'est "cultures urbaines". Quand j'ai été nommé, je me suis retrouvé aux côtés d'un chanteur de reggae, un de zouk. En gros, c'est 'les Noirs vous êtes là'.
Il y dans cet album le duo 'Complexité Française' avec Simon Buret (Aaron), comment s'est passée votre rencontre ?
C'est une collaboration complètement naturelle, parce qu'on se connait depuis très longtemps. On a joué ensemble dans le film Dans Tes Rêves. Pendant le tournage, Simon Buret me faisait écouter les maquettes des titres de son premier album avec Aaron et on s'est lié d'amitié artistique et d'affection. On a déjà fait un titre ensemble qui n'est jamais sorti et je voulais vraiment arriver à faire quelque chose avec lui sur cet album. Et je suis vraiment très content du titre Complexité française. Musicalement, j'ai réussi à mélanger un breakbeat rap, un couplet pop électro, sa voix très anglaise... Il y a quelque chose de naturel, et pourtant c'était une proposition très complexe.
Il n'y a aucun featuring rap sur cet opus, pourquoi ?
J'ai essayé d'en faire un avec Fababy, avec Lino... Mais on n'est jamais allé au bout du processus, j'étais pas content du résultat final. Alors on gardera ça pour plus tard.
Est-ce que les Casseurs Flowters d'Orelsan et Gringe sont pour toi les héritiers du rap marrant d''Ultra beau gosse' ?
Héritiers, ce serait très prétentieux ! C'est des artisites que j'apprécie, ils m'apprécient et je suis bien content que ce type de rap aujourd'hui ait droit à un chapitre et à un succès. Ce que je déplore le plus dans le rap français et dans la manière dont certains rappeurs véhiculent cette musique, c'est le côté monolithique. Ce que j'aime dans le rock, c'est la palette country, métal, hard, pop... Le rap est pareil, il y a plein de personnalités, plein de gens. Aux Etats-Unis, tu avais Cool J, les Beastie Boys et Public Enemy, les trois ne font pas la même chose mais sont dans le genre rap. En France, on a tout de suite mis en opposition différents raps.
Est-ce que tu les as mis en garde sur l'image du rappeur marrant qui t'avais pesé à une époque ?
Certainement pas. Ce n'est pas parce que j'ai dix années de rap de plus qu'eux, que je me permettrai de leur donner des conseils. On se fait écouter nos prods, "Transe Lucide" ils l'ont écouté avant qu'il sorte, ils m'ont fait écouter le leur. Mais c'est juste de la bienveillance. On a toujours plus de recul sur les autres que sur soi-même. Ce rapport familial je ne l'ai pas trouvé avec d'autres.
A côté du rap, tu te consacres aussi au théâtre, à tes romans, à la mode avec Galvanized... la musique ne suffit-elle pas à exprimer ce que tu veux transmettre ?
Je suis très très curieux de nature et je pense qu'un sens artistique peut se décliner. Je ne me compare pas à ces gens là mais par exemple Picasso ne s'est pas limité à la peinture. La base de tout, c'est la sensibilité et l'écriture. Ce que j'aime le plus, c'est ce rapport à l'écriture. J'aime le pouvoir d'hypnose que peut avoir un mot ou une phrase. Un livre très bien écrit peut te bouleverser, te faire pleurer ou te faire rire alors que tu ne vis pas ce que le personnage vit. C'est pareil pour une pièce de théâtre ou une chanson. Le fait qu'un morceau comme Strange Fruit de Billie Holiday te fasse monter les larmes, c'est spirituel, presque magique.
Je trouve qu'il y a dans ta carrière une ressemblance avec Kanye West pour le goût du risque, des changements radicaux, l'anti médiatisation, la musique parfois proche de la transe : c'est un artiste qui t'inspire, que tu apprécies ?
Au niveau de l'artistique, je pense que sa proposition est extrêmement puissante et forte. Ce serait un gros mensonge de dire que je ne m'inspire pas de lui, et que je ne regarde pas ce qu'il fait. Il a beaucoup apporté au rap américain. Il n'y aurait pas de Drake sans Kanye West. Ca me fait penser à un numéro du magazine XXL qui avait comparé les ventes de Kanye West et 50 Cent, qui sortaient leurs albums le même jour. Et c'est West qui était sorti gagnant alors que 50 Cent était un poids lourd du rap pur et dur : il a ouvert la voie à d'autres rappeurs qui avaient des (autres) choses à dire. Depuis le "Poisson Rouge", mon point de départ, je travaille dans ce sens là. Dans mon morceau L'Avocat des Anges je parle de choses simples, d'amour, que certains voient comme des choses niaises ou fragiles, et je l'ai fait dès mon premier disque. Pareil dans Ghetto Sitcom qui raconte la vraie vie d'un mec de cité. Et ça, je l'ai fait avant Kanye West.
Cette année, deux duos rap/ hip hop se reforme. Tu irais Outkast à Coachella ? Et le Ministère A.M.E.R de Stomy Bugsy et Passi ?
Les deux ! Je les ai écoutés et j'apprécie les deux ! Le Ministère A.M.E.R représentait le véritable rap hardcore sans consession qu'on écoutait plus jeunes, qui montrait une réalité des quartiers bien réelle. Stomy Bugsy est vraiment quelqu'un de bien. J'ai rencontré plein d'anciens dans le rap, et à chaque fois il y avait soit un regard condescendant, soit de la jalousie. Stomy m'a toujours encouragé dans le cinéma comme dans la musique. Il a toujours été bienveillant sans faire le grand. Et c'est une vraie preuve de talent. Pour ça, je suis bien content qu'il se reforme avec Passi et je leur souhaite un vrai gros succès.
Et Outkast ?
Le mélange qu'ils ont réussi à faire est dingue, très riche, très puissant. C'est génial qu'ils se reforment, et je pense qu'il n'y a pas de cynisme derrière ça. J'attends avec impatience ça, et j'espère qu'ils feront un album après cette tournée.
Troisième album signe la fin de la trilogie, et après ? Tu vas opter pour un "abandon de poste" comme dans 'Burn Out' ? Le "début d'une nouvelle vie" ?
Non non ! [rires] La suite est déjà prévue. Mon prochain disque sera beaucoup moins sophistiqué que ce que je fais aujourd'hui. J'ai une envie de faire du très brut, très rap des années 90 à la sauce Wu Tang, avec une proposition d'énergie qui sera bien forte en concert.
Propos recueillis par Louise Wessbecher. Contenu exclusif.
Ne pas mentionner sans citer Purebreak.com.