Entre la présentation en ouverture du Jeanne de Barry de Maïwenn, film à la gloire de Johnny Depp qui a suscité l'indignation des militantes féministes (mais pas que), et le happening spectaculaire en mode Femen d'une activiste pacifiste venue dénoncer la guerre en Ukraine (... en se recouvrant de sang factice en plein tapis rouge), ce Festival de Cannes ne manque pas de scandales. Mais ce n'est pas terminé.
Car c'est parmi les anonymes de la Croisette qu'on trouvera encore de nouvelles raisons de s'indigner. Sur Twitter, une jeune femme, Leah, s'est effectivement vue empêchée d'assister à la projection de Killers of the Flower Moon, le dernier Martin Scorsese où flamboient Leonardo Dicaprio et Robert De Niro.
La raison ? Elle portait des baskets. Mais elle n'avait pas le choix : en raison de son handicap, elle ne peut porter que ça. Effectivement, ses baskets sont des chaussures spécialement adaptées. Leah boite de la jambe droite, à cause d'une méningite à méningocoque et d'un AVC dont elle a été victime, relate la jeune femme.
Dans une vidéo relayée par son oncle sur Twitter et très vite devenue virale, la spectatrice s'explique : "J'ai utilisé un pass 'last minute' à Cannes pour avoir une place, et quand on est handicapé, on passe en priorité. Je suis passée en priorité mais on m'a dit que je ne pouvais pas y aller car je portais des baskets. J'ai rétorqué que je ne pouvais porter que des baskets. On m'a dit : non non, désolé, ce sera pas possible".
Leah s'insurge : "Je trouve ça honteux. J'espère que vous partagerez ca. Car au bout d'un moment, c'est plus possible". Un témoignage abondamment relayé et qui a beaucoup fait réagir comme tu t'en doutes.
Florilège de protestations et de soutiens : "Je suis tétraplégique depuis 24 années, je sais ce qu'est notre société Française vis-à-vis du handicap. Beaucoup de belles paroles et peu d'actes concrets", "C'est insupportable", "Apparemment on n'en veut pas des handicapés en France, qu'ils survivent dans leur coin, à la rigueur, mais qu'on ne nous les impose pas à la vue. Ils ont déjà un téléthon c'est bien suffisant"...
"Dress code" ou pas, il y a comme un deux poids deux mesures dans cette histoire de règlement vestimentaire à respecter à tout prix. Regarde plutôt : si une mégastar comme Jennifer Lawrence débarque sur la Croisette en tongs, les photographes fourmillent et ce fashion faux pas fait exprès passe presque pour un acte subversif face au glamour omniprésent qui inonde le Festival. On se doute que Brad Pitt pourrait tout à fait arborer des Nike. Mais si une simple spectatrice privilégie des baskets pour assister à une séance, et a de très bonnes raisons de le faire, c'est un grand non.
On ne s'étonnera pas cependant de ce genre de contrastes lors d'un événement qui, factuellement, tend plutôt à magnifier la notoriété et le luxe. Dommage cependant, pour un festival censé célébrer la diversité. Les twittos s'en insurgent encore d'ailleurs : "C'est blessant et injuste, que peut-on faire ?", "C'est aberrant et discriminatoire. 'L'inclusion" est un mot inconnu au générique de ce festival", "On ne parle pas de respect, mais d'incapacité"...
Notons tout de même que face à ce moment odieux, le Festival a tout de même reconnu "un malencontreux loupé" face au micro de France 3 Côte d'Azur et remet la faute sur un vigil qui aurait un peu trop appliqué à la lettre le dress code classique qui n'est "évidemment pas censé s'appliquer à une personne handicapée".
Il reste que, ce qu'a subi Leah, c'est ce que l'on appelle du validisme : le fait de discriminer une personne en situation de handicap en raison de son handicap, justement. Celle-ci se voit effectivement submergée de violences diverses, de préjugés et de pratiques discriminatoires de la part des personnes dites "valides", qui semblent dicter les règles - et pas seulement à Cannes d'ailleurs. Une situation bien trop courante hélas.
Si tu veux en savoir plus, n'hésite pas à lire De chair et de fer, le manifeste très détaillé de Charlotte Puiseux sur le sujet. De quoi rendre un brin moins idyllique le soleil cannois, mine de rien.