Le succès d'un film ou d'une série tient à tout un tas de planètes qui doivent parfaitement s'aligner. Mais parfois, il dépend aussi et surtout d'un seul et unique membre du casting, qui réussit à lui seul à nous rendre accro. Sans manquer de respect aux autres acteurs présents dans La Fièvre, c'est ce que j'ai ressenti face au talent d'Ana Girardot dans le rôle de Marie Kinsky.
La Fièvre, c'est la dernière création de Canal+. La série en 6 épisodes, dispo depuis le 18 mars 2024 sur la chaine cryptée et sur MyCanal, propose l'épisode 5 ce lundi 8 avril, avant le grand final dont la date de sortie est fixée au 15 avril. J'ai dévoré les 4 premiers épisodes ce week-end, sans même être tenté une seule fois de mater la série en vitesse accélérée, comme je le fais pourtant 90% du temps.
Dans La Fièvre, on se retrouve plongé dans l'univers du foot français, le soir des Trophées UNFP, cérémonie qui récompense les meilleurs joueurs et équipes du championnat de France. Ce soir-là, en direct et devant les caméras, Fodé Thiam, la star du Racing et de l'équipe de France, pète un plomb et balance un coup de boule à son entraîneur. Un craquage accompagné d'une insulte, "sale toubab" ("sale blanc" en wolof). C'est la panique. Réseaux sociaux en boucle sur le sujet, débats dans TPMP, sur les chaines d'info en continu, dans la presse... La France s'embrase et deux camps s'opposent. Pour tenter d'éteindre l'incendie, le club fait appel à une agence de com. Cette dernière, d'abord persuadée qu'il s'agit d'un badbuzz qui sera vite oublié au profit d'un prochain scandale ou sujet d'actu, bascule dans une autre crainte : le déclenchement d'un début de guerre civile, voire plus, en mode "winter is coming".
Cette théorie, c'est celle de Sam Berger (Nina Meurisse), une communicante de génie, mais bouffée par son hypersensibilité. Il faut dire que parmi ceux qui agitent les peurs et jettent de l'huile sur le feu, il y a au premier plan Marie Kinsky, son ancienne collègue devenue LA star médiatique, sur scène comme sur tous les plateaux télé et les réseaux sociaux.
Pour interpréter Marie Kinsky, Eric Benzekri (à qui l'on doit déjà l'excellente série Baron noir) a misé sur Ana Girardot. Un rôle bien éloigné de ce qu'elle a l'habitude de jouer... et qu'elle a d'abord refusé catégoriquement. Comme elle l'expliquait lors d'une conférence de presse retranscrite par Allociné, l'actrice s'est initialement un peu braquée : "Je me souviens qu'à la lecture du scénario du premier épisode, je me suis dit 'Non... Non, vraiment, non, je ne peux pas dire ça'". C'est son agent qui l'a poussée à reconsidérer ce choix : "Mon agent m'a dit 'Mais ça ne va pas ou quoi ? Il est extraordinaire ce rôle ! Cela fait des années que tu me demandes un rôle comme celui-là'. Je lui ai répondu 'Oui, mais bon, quand même...'.
Ana Girardot, que vous pouvez retrouver dans un rôle totalement différent dans le nouveau carton de Netflix, a finalement joué le jeu et passé le casting... en y allant à reculons. En rencontrant le réalisateur Ziad Doueiri, tout a pourtant basculé. Elle a donc tout fait pour refaire un "vrai" essai.
La machine était lancée et Ana Girardot savoure, et nous avec : "C'était extrêmement jouissif de jouer ce genre de rôle. Je dois dire que j'ai toujours été abordée pour jouer des rôles de personnages plutôt gentils, doux, accompagnants. A un moment donné, j'ai réalisé que j'étais souvent réduite à un rôle de 'femme de'. A partir de là, j'ai voulu me tourner vers des rôles de personnages plus puissants. (...) Avec Marie Kinsky, je me suis carrément détachée de moi. J'ai physiquement senti en jouant que je pouvais tout me permettre, que je portais, en fait, un masque".
Grande gueule, populiste mais cultivée, belle et rebelle, anti-élite et manipulatrice, opportuniste... Le personnage de Marie Kinsky a de nombreuses facettes. Femme de scène, bête médiatique, connaisseuse de la société et des réseaux sociaux, elle semble prête à tout pour parvenir à ses fins. Quelles sont-elles, ces fins ? Au bout de 4 épisodes, on a encore du mal à le savoir. Elle me fait penser à de nombreuses (vraies) personnes que j'éviterais de citer, sans pour autant pouvoir mettre un unique nom réel derrière ce personnage que je trouve aussi fascinant que détestable. Et c'était visiblement exactement ce que visait Eric Benzekri.
Toujours lors de cette conférence de presse, cette fois reprise par Elle, le créateur et co-scénariste de La Fièvre dévoilait comment il avait construit ce rôle : "Marie Kinsky, c'est une fusion de ce que l'on voit depuis quelques années : le développement de personnages politiques qui sont issus du monde du spectacle. Il y a du Beppe Grillo, qui est le fondateur du Mouvement 5 étoiles en Italie, et du Donald Trump, dont la popularité vient de la télé-réalité avant même la construction de son empire immobilier. Et il y a aussi un peu de Coluche, qui est le premier humoriste à avoir tenté de se présenter à la présidentielle. Je le trouve bien plus sympathique que Marie Kinsky mais il y a un point commun".
Avant de dévoiler un dernier point de départ : "Mon inspiration, ce sont aussi les réseaux sociaux et les influenceurs. Je pense qu'on est dans l'âge où la politique devient un terrain de jeux pour les influenceurs. Marie Kinsky, elle est trop belle, elle est trop violente, elle est trop séductrice, elle est trop dérangeante. Et ce trop-là, c'est le trop des réseaux sociaux".
Un mélange qu'Ana Girardot a parfaitement saisi et qui me donne envie de rattraper d'urgence une grosse partie de la filmographie de l'actrice, qui semble capable de tout jouer, de la pauvre fille (Anne dans La Flamme et Le Flambeau), à la meuf badass dans Le Salaire de la peur.
Rendez-vous sur Canal+ et/ou MyCanal pour voir jusqu'où ira son ignoble personnage dans La Fièvre.