CINÉ SÉRIE
La santé mentale et physique des mangakas plus en danger que jamais, l'avenir s'annonce sombre pour cette industrie
Publié le 12 octobre 2023 à 09:00
Par Quentin Piton | Journaliste Séries - Ciné
Journaliste spécialisé dans les séries, le cinéma, mais également les anime et mangas. Passe son temps à rêver d'Emma Watson, considère Olivier Giroud comme le GOAT et refuse de parler avec ceux qui sont contre la vérité absolue qui est : How I Met Your Mother est une meilleure série que Friends.
Alors que les mangas connaissent un succès en pleine croissance à travers le monde, les conditions de travail des artistes derrière ces histoires sont toujours aussi précaires. Pire, elles viennent même de se dégrader, laissant craindre des prochains mois compliqués au Japon. Purebreak se penche sur le sujet à l'occasion de la Semaine de la santé mentale qui débute ce 9 octobre.
Takaya Imamura (Omega 6) nous parle de son manga: La santé des mangakas plus en danger que jamais, l'avenir s'annonce sombre pour cette industrie
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La santé mentale des mangakas en grande souffrance

"L'industrie du manga doit changer, la santé des auteurs doit devenir la priorité", "Tellement d'auteurs populaires qui tombent malades", "S'il vous plait, reposez-vous Sensei. Prenez un mois ou deux de pause si vous le voulez. Je souhaite simplement que vous soyez en bonne santé". Voilà les commentaires que l'on pouvait découvrir sur les réseaux sociaux en mars 2023. Leur origine ? Quelques heures auparavant, le Weekly Shonen Jump annonçait une pause imprévue dans la parution du manga My Hero Academia, la faute à un problème de santé de Kôhei Horikoshi, son auteur.

Un problème médical qui, malheureusement, n'était pas le premier de l'artiste et encore moins une exception dans ce milieu. Là où tout semble aller pour le mieux pour cette industrie japonaise avec des mangas plus lus que jamais aux quatre coins du monde et de nouvelles licences qui ne cessent de naître chaque mois, les coulisses sont à l'inverse nettement moins enthousiastes.

Comme le veut une tradition désormais adoptée par (presque) tous les magazines spécialisés au Japon, avant d'atterrir dans nos librairies, un manga est pré-publié dans ces fameux médias et avance au rythme extrêmement intense d'un nouveau chapitre d'une vingtaine de pages écrit et dessiné par semaine. Or, ce qu'il faut savoir, c'est que tous les mois, les auteurs jouent la survie de leurs séries dans ces fameux magazines. Si celles-ci plaisent moins aux lecteurs, elles peuvent être annulées du jour au lendemain, afin de laisser place à une nouvelle histoire imaginée par un nouvel auteur.

Aussi, face à cette féroce concurrence dans un milieu très précaire (généralement, un mangaka commence à gagner de l'argent avec la vente des tomes. La publication des chapitres lui permet simplement de s'autofinancer), les créateurs s'imposent un sacrifice aussi bien physique que psychologique, quitte à aller au bout de leurs limites, pour maintenir ce rythme de création inhumain.

Des artistes cassés par leurs conditions de travail

Interrogé au printemps dernier par Augustin Trapenard sur ses propres conditions de travail à l'époque, Hajime Isayama - qui bénéficiait pourtant d'un rythme de publication mensuel, n'hésitait pas à déplorer l'enfer qu'il vivait au quotidien avec L'Attaque des Titans, l'un des mangas les plus emblématiques des années 2010.

"A l'approche de chaque publication, c'était trois semaines de travail à la suite, avec seulement deux ou trois heures de sommeil par nuit, expliquait-il. A l'approche de chaque échéance, je ne me souciais plus de bien dessiner. J'étais obsédé par cette date fatidique de livraison. C'était une telle souffrance que pour m'en libérer, j'en arrivais à accepter de sacrifier la qualité de mon dessin." Conséquences de cette façon de faire ? En plus d'une fatigue mentale intense, son corps le lâchait ponctuellement : "Comme je me penche un peu trop pour dessiner, j'ai souffert de terribles douleurs au dos. Je me collais des bandes pour me redresser."

Un témoignage fort qui faisait tristement écho à de nombreux cas célèbres dans cette industrie. Tandis que la mort de Kentaro Miura (Berserk) est soupçonnée d'avoir été causée par le stress lié à son travail autour de son oeuvre (il a été victime dissection aortique), Yoshihiro Togashi - le papa d'Hunter x Hunter, est de son côté atteint de problèmes de dos chroniques qui l'empêchent de travailler sur son histoire plus de quelques semaines par an. Au-delà, la douleur lui serait insupportable.

De même, Aka Akasaka - le papa d'Oshi no Ko, a récemment pris la décision de s'éloigner temporairement de son manga, affirmant ne plus se sentir suffisamment armé à l'heure actuelle pour tenir le rythme face au succès et tout ce qu'il entraine : "Je ne me sens pas bien depuis un moment et, après en avoir discuté avec les personnes concernées, j'ai décidé de prendre un long mois de repos".

Un sujet loin d'être tabou...

Le point positif, c'est que face à l'évolution inquiétante de la profession et à cette accumulation de problèmes physiques mais aussi et surtout mentaux du côté des artistes, le milieu du manga serait désormais prêt à faire bouger les choses. C'est en tout cas ce que nous a confié Takaya Imamura (Omega 6), lors d'une interview exclusive accordée à Purebreak.

"Effectivement, la difficulté du métier de mangaka au Japon, c'est un sujet qui est régulièrement abordé au Japon, a-t-il reconnu à notre micro, balayant d'un revers de main l'hypothèse d'un sujet tabou. Tout le monde sait qu'il s'agit d'un métier vraiment très difficile, qui demande une implication incroyablement intense. Et ça pose question." Et d'ajouter plus loin : "Il y a vraiment beaucoup de discussions autour du statut de mangaka et s'ils peuvent ou non continuer à travailler comme ça."

À cet effet, le mangaka a même lancé une piste de réflexion sur une façon efficace de soulager la pression des artistes qui pèse sur leurs épaules au quotidien : "Je pense que la solution pour alléger un petit peu la pression, ça sera de travailler davantage en équipe. Que tout ne repose pas nécessairement sur les épaules d'une seule personne, mais peut-être d'augmenter le nombre d'assistants qui viendraient l'épauler."

... qui vient de se prendre un mur à pleine vitesse

Une piste nécessaire à explorer tant il apparait évident qu'un mangaka ne peut plus travailler seul sur un titre aujourd'hui, mais qui vient d'être indirectement broyée par le gouvernement japonais. Depuis le 1er octobre 2023, les travailleurs indépendants et micro-entrepreneurs japonais (dont les mangakas font partie pour les moins connus) font face à une réforme fiscale avec la mise en place d'une taxe sur la consommation (équivalent de la TVA) à laquelle ils échappaient jusqu'à présent.

Le problème ? Là où cette réforme oblige maintenant les mangakas à facturer les éditeurs (magazines) en mettant en place cette TVA de 10%, il a déjà été sous-entendu que ces éditeurs n'augmenteront pas leurs tarifs pour compenser cette taxe. Autrement dit, les artistes seront payés autant qu'avant (entre 60 et 120€ brut la page) MAIS devront sacrifier 10% de leurs salaires.

Mais ce n'est pas tout. Étant donné que les mangakas paient aussi leurs propres assistants (en répartissant les 60 à 120€ accordés par l'éditeur), leurs équipes doivent également ajouter cette TVA de 10% sur leurs factures. Traduction : avec cette simple loi, les auteurs de mangas pourraient perdre jusqu'à 20% de salaire par mois.

Aucune évolution positive à espérer ?

Face à cela, deux solutions s'offrent aux mangakas : compter sur leurs assistants pour sacrifier une partie de leur salaire afin de ne pas ressentir cette hausse de 10%, chose impensable tant ils sont déjà payés au strict minimum (31% des assistants gagneraient entre 7 213 et 14 425 dollars par an, 30% d'entre eux toucheraient moins de 7 213 dollars par an) ou alors... se passer d'assistants et ainsi réduire leurs frais.

Une éventualité à laquelle de nombreux mangakas songent sérieusement aujourd'hui, mais qui serait terrible pour cette industrie. Après tout, cela les obligerait à doubler leur quantité de travail (pour un rythme de parution identique) et donc à se pourrir davantage la santé.

Takaya Imamura était un ancien créatif au sein de Nintendo, il a lancé son manga Omega 6, édité par Omake Books.

Pour plus d'informations sur la semaine de la santé mentale, rendez-vous sur le site de Webedia.

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