Les mangas n'ont jamais été aussi populaires dans le monde qu'aujourd'hui, mais les conditions de travail des créateurs semblent à l'inverse s'être progressivement détériorées. Ces dernières années, on ne compte plus le nombre de mangakas qui ont été contraints de mettre la production de leurs oeuvres en pause suite à l'émergence de problèmes de santé plus ou moins importants.
Parmi les cas les plus connus, on peut citer celui de Yoshihiro Togashi - le papa d'Hunter x Hunter, incapable d'avancer son histoire plus de quelques semaines par an, tout comme celui de Kentaro Miura - l'auteur de Berserk, qui a récemment trouvé la mort, victime d'une dissection aortique. Une condition notamment causée par une hypertension favorisée par le stress et une fatigue chronique.
Le stress lié au rythme de production imposé par les éditeurs, Hajime Isayama l'a également bien connu. Lors de son récent passage en France, le créateur de L'Attaque des Titans - l'un des rares auteurs à oser lever le voile sur les coulisses de sa profession, a confessé qu'il avait énormément souffert durant la production de son manga au point de s'être parfois senti obligé de faire quelques sacrifices.
"Pour L'Attaque des Titans, je devais rendre mon travail en fin de mois. Je prenais une semaine de repos, puis à l'approche de chaque publication, c'était trois semaines de travail à la suite, avec seulement deux ou trois heures de sommeil par nuit, expliquait-il dans l'émission La grande librairie. A l'approche de chaque échéance, je ne me souciais plus de bien dessiner, de plaire aux lecteurs ou du nombre d'exemplaires vendus. Ce qui m'obsédais, c'était cette date fatidique de livraison. C'était une telle souffrance que pour m'en libérer, j'en arrivais à accepter de sacrifier la qualité de mon dessin."
Des conditions de travail qui inquiètent en Europe, mais qu'en est-il au Japon ? On le sait, le rythme de production est aussi intense et stressant pour les auteurs car celui-ci est fondamentalement lié au fonctionnement des éditeurs qui, chaque semaine / mois, mettent tous les mangakas publiés dans leurs magazines en concurrence.
A travers des enquêtes de satisfaction hebdomadaires passées auprès de leurs lecteurs, ils vérifient constamment la popularité des oeuvres afin de savoir quelle série mérite ou non d'être sauvées et se poursuivre, peu importe la renommée de l'artiste derrière. Et en cas d'annulation, de nouveaux auteurs sont déjà prêts à prendre la relève, ce qui permet aux magazines de ne jamais être à court d'histoires et de se renouveler constamment.
Une façon de faire qui est la même depuis des décennies, mais qui commence (enfin) à faire réagir. Il y a quelques semaines, Purebreak a eu la chance de rencontrer l'artiste Takaya Imamura - auteur du manga Omega 6 (Omake Books), pour justement parler du métier de mangaka. Et l'ancien créatif de Nintendo nous l'a assuré, les langues se délient progressivement.
"Effectivement, la difficulté du métier de mangaka au Japon, c'est un sujet qui est régulièrement abordé au Japon, a-t-il reconnu. Tout le monde sait qu'il s'agit d'un métier vraiment très difficile, qui demande une implication incroyablement intense. Et ça pose question." Il l'a ensuite ajouté, "il y a vraiment beaucoup de discussions autour du statut de mangaka et s'ils peuvent ou non continuer à travailler comme ça."
Toutefois, Takaya Imamura nous l'a également confié, il ne pense pas que l'organisation imposée par les éditeurs évoluera dans le futur avec, pourquoi pas, des délais plus longs accordés aux artistes : "Avec la situation actuelle, je ne pense pas que le rythme de parution baissera, bien au contraire. Je pense que ça sera même pire." Autrement dit, le nombre de titres publiés chaque année pourrait encore exploser, faisant accroître la concurrence.
En revanche, il n'est pas impossible que les conditions de travail des mangakas progressent avec une offre supplémentaire de moyens. C'est en tout cas le souhait de Takaya Imamura. "Je pense que la solution pour alléger un petit peu la pression, ça sera de travailler davantage en équipe, a dévoilé l'auteur. Que tout ne repose pas nécessairement sur les épaules d'une seule personne, mais peut-être d'augmenter le nombre d'assistants qui viendraient l'épauler."
A ce jour, il est trop tôt pour savoir les éditeurs japonais mettront réellement de tels moyens en place (pour cela, il leur faudrait augmenter les salaires des mangakas qui sont de leur côté chargés de rémunérer leurs équipes, une chose souvent compliquée à faire pour les débutants sans cagnotte), mais les exemples ne manquent pas pour les motiver à prendre ce virage. "Quand on regarde la répartition du travail dans les comics américains, il y a des personnes qui sont exclusivement dédiées à faire des bulles ou des onomatopées, a rappelé l'auteur. Et je pense que c'est vers cette solution que l'on trouvera un peu de répit pour les auteurs."
Reste désormais à savoir comment l'incertitude de ce marché jouera sur les progrès mis en place. Malgré une demande de plus en plus forte des mangas dans le monde, les ventes des magazines qui les prépublient - une étape indispensable pour la promotion d'une oeuvre, sont en baisse constante. En 2022, le Weekly Shonen Jump (magazine de référence au Japon) s'est écoulé à 1,5 million de copies par semaine en moyenne, contre 6,53 millions en 1994. Et si le format numérique est entré en jeu depuis, cela reste inquiétant avec un manque à gagner évident...
Propos de Takaya Imamura exclusifs, ne pas reprendre sans citer Purebreak.