Quand on est un rappeur aussi connu que toi, comment se retrouve-t-on à faire la BO du film d'animation Les Croods ?
Très simplement en fait. J'ai un ami qui est le compositeur de ce générique, Elio - qui a déjà travaillé pour Diams, Johnny Hallyday, pour moi puisqu'on a travaillé ensemble sur mon album... - qui m'appelle et me dit "Voilà j'ai un générique d'un film à faire, ça s'appelle Les Croods, je t'envoie le pitch. L'idée c'est qu'on reprend Daddy Cool pour en faire Daddy Croods. Qu'est-ce que t'en pense ? T'as envie de le faire ?" Et comme Elio c'est vraiment mon ami, je me renseigne sur les Croods et je me dis "Ah ouè, mortel quand même" et je lui dis "Vas-y on se lance".
Récemment, tu as aussi fait les BO de Turf et La Vraie Vie des Profs. Ça c'est passé de la même façon pour ces films ?
La Vraie Vie des Profs, je l'ai aussi fait avec Elio, parce qu'il faisait toute la BO du film. Du coup, encore une fois, pas très longtemps avant, il m'a dit "J'ai deux morceaux, j'aurais besoin de rap dedans, les réalisateurs veulent un générique... Ça parlerait de ça, voilà le pitch, ils veulent faire passer certains messages." Et voilà, moi je fais, j'écris et ça me branche. Il faut que l'idée me plaise. Pour La Vraie vie des profs c'est tourné à Marseille en plus, donc y a tout un truc derrière et puis j'aimais bien aussi le travail des réalisateurs avec Les Lascars.
Et t'as carte blanche lorsque tu fais une BO ou au contraire, t'es soumis à certaines conditions ?
La plupart du temps oui. Le plus souvent on a carte blanche. Après y a juste des détails au niveau du vocabulaire employé. C'est une commande donc il faut que ça colle au film. Mais je ne suis pas bridé. Même moi à la limite je suis demandeur de ça. En général je prends contact avec les gens, je prend des notes sur ce dont ça parle, où on est, ce qu'il faut faire passer comme message, ce qu'on veut transmettre... Mais comme tout le monde va dans le sens du film, je n'ai jamais eu de réaction de la production derrière. En général tout le monde est content et c'est le but, car tout le monde devra soutenir le truc après.
Du coup, ça n'est jamais toi qui fais les démarches pour participer à une BO ?
Non pas sur ceux là et sur tout ce que j'ai fait jusque-là, et c'est vrai que j'en ai fait pas mal. C'est souvent des connaissances ou quelqu'un qui connaît mon travail qui m'appellent. C'est rarement moi. Quand j'ai essayé de faire ce genre de démarche, ça n'a pas abouti. (rire)
Pour le titre Daddy Crood, tu as tourné un clip dans une école avec beaucoup d'enfants. Ce n'était pas trop compliqué comme tournage ?
Non au contraire, j'ai passé un super moment. Au départ, oui, on se pose des questions, mais je suis allé la veille à la répet pour entrer en contact avec eux. Au début c'est toujours pareil : ils sont là, un peu timides, ils vous observent... et moi pareil, je les observe, je cherche les plus turbulents... Mais ce qui est bien avec les gamins c'est qu'ils sont naturels, ils ne surjouent. Y a eu un feeling de suite. Et puis ils sont malins, ils se renseignent sur toi avant. Donc quand ils arrivent après, ils te connaissent. Et y a les parents ensuite derrière. En fait le plus délicat ce sont les parents au début. Car la première approche qu'ils ont c'est de se dire "putain c'est du rap" et ils ne savent pas à quoi s'attendre. Ils ont tous les clichés que tout le monde a sur le rap, donc ils viennent et tu sens un peu qu'ils se posent des questions. Mais j'ai passé un moment avec eux aussi et on est tous des adultes, on discute, on boit des cafés et après ils se lâchent, on prend des photos, on signe des autographes. Franchement j'ai passé un super moment. C'est ce qui fait qu'après on a un clip qui marche bien.
Forcément, avec des projets comme les BO de film, les commentaires peuvent être plus critiques sur internet. Tu y prêtes attention ou pas du tout ?
Pas sur ce genre de projets. En fait c'est très simple, tout ce que je fais en "externe", c'est à dire projets de BO, des commandes... non, je ne m'attarde pas là-dessus parce que je sais plus ou moins à quoi m'attendre. Je sais que forcément, quelqu'un qui est à fond dans le rap, dans ma carrière, qui connaît mes morceaux... quand il va voir Les Croods il ne va pas comprendre. Il va se dire "Qu'est-ce qu'il fout ? C'est tout pourri." Si j'ai ces personnes là en face de moi, je leur explique, je leur dit que c'est un truc à part. C'est un film, c'est un délire. Le film il est mortel, moi j'ai fait le truc avec les gamins et j'ai kiffé, et c'est ça qui est important. Et je leur dis bien, parce que des fois ils peuvent ne pas comprendre que ce qui est intéressant dans ces démarches, surtout de BO, c'est qu'on ne fait pas des morceaux pour les vendre. C'est à dire que lorsque l'on fait un morceau comme ça, on le fait juste pour que ce soit diffusé, pour que ça donne envie d'aller voir le film. Du coup la démarche est seine. Y a pas une démarche de se dire "On veut se faire de la thune". Et puis pour moi, je sais très bien que c'est quelque chose qui par rapport au rap va plus me desservir qu'autre chose. C'est une démarche où je me mets en danger en quelque sorte. Je pourrais très bien dire "Oh non non, ma carrière, attention", mais franchement, j'ai passé l'âge de tout ça. Le but, c'est qu'artistiquement le travail soit bien fait. Pour les Croods, pour le but qu'on en a, le travail est bien fait. Après je peux comprendre que ça déroute, que les gens n'aiment pas, il n'y a pas de soucis. Mais je ne fais pas attention, je fais ce que j'aime.
Entre Les Croods, Turf, La Vraie Vie des Profs... on ne voit que toi en ce moment. Les BO sont un bon moyen de se remettre sur le devant de la scène afin de lancer un nouvel album ou pas du tout ?
Alors c'est pas le but. Ces BO se sont enchaînées involontairement. La Vie Des Profs ça a démarré en mai 2012 et on a enregistré la version finale en septembre 2012. Ensuite, on me propose Turf durant l'été 2012 et on embraye dessus. Et puis enfin y a eu Les Croods. Mais à la base, je ne sais pas quand ça va sortir. D'ailleurs, quand on m'a dit que Turf sortait en même temps que La Vraie Vie Des Profs, j'ai appelé les réalisateurs pour dire : "Je suis désolé, j'espère que ça va pas faire clash entre les deux ?" Et puis ils m'ont mis à l'aise, ils m'ont dit : "Ce ne sont pas les mêmes publics et en plus il se trouve qu'on a un acteur qui joue dans les deux films (Lucien Jean-Baptiste). Donc si on peut partager un acteur, on peut bien partager un chanteur." (rire) Donc non, ce n'est vraiment pas calculé.
Mais un album est quand même en préparation ?
Pour mon album, à cette période-là, donc en 2012, je travaillais avec un pote à moi qui est Sébastien Damiani, un pianiste classique de haut niveau. On avait décidé de se mettre tous les deux, de composer ensemble, mais plus pour de la BO pure. Ce n'était pas du rap, il n'y avait pas de paroles dessus. On composait pour que ça soit joué par 40-50 musiciens. Tout était écrit pour que ça puisse être joué par tout le monde. On avait envie de proposer nos propres créations. Là par exemple y a l'album d'IAM qui va sortir en avril et on a des sons et morceaux dessus. Mais après on a commencé à avoir beaucoup de titres et on trouvait dommage de ne pas en faire un album. Donc là on est train de travailler dessus. Mais on ne s'est pas dit "Ah là y a de l'actu donc on va surfer dessus". De toute façon l'album n'est pas prêt, il ne sortira pas avant fin 2013. Les films seront passés d'ici là.
Par conséquent, avec ce projet d'album tu as dû toucher à un autre univers que celui du rap. Comment s'est déroulée cette transition ?
Avec mon pote Seb on écoute pas mal de musiques classiques. Lui qui écoute ça depuis longtemps m'a vraiment instruit là dessus, j'ai beaucoup appris. Ça fait presque 2 ans que je fais un peu d'histoire de la musique classique afin de savoir comment elle a évolué. Et puis on trouve beaucoup de points communs avec le rap. On essaie d'ailleurs de comprendre tous les deux pourquoi ces milieux ne cohabitent pas. Lui, c'est quelqu'un qui aime le rap, mais dans le milieu classique lorsqu'il dit ça, les gens lui répondent "Mais t'es fou, c'est pas de la musique, tu peux pas considérer ça comme tel..." et quand tu vas dans le milieu du rap et que tu parles du classique c'est la même chose. Les deux ne se comprennent pas et c'est ce qui nous fait marrer.
En parlant de Rap et de Musique Classique, on peut facilement penser à Nas et son morceau "I Can", avec la musique "Lettre à Elise" de Beethoven. Tu l'as bien aimé ?
Non, pour moi ça n'était pas réussi. J'ai salué l'idée mais je sais exactement comment il a fait et ça se fait en 10 minutes. Tu prends l'air, le rythme c'est un break-beat déjà fait et donc voilà... j'ai bien aimé le côté avec les enfants mais musicalement, l'instru en lui-même... Mais "Lettre à Elise" déjà je ne suis pas fan de l'original. C'est l'un des trucs les plus basiques qui soit.
Enfin, on ne peut pas parler de rap en ce moment sans évoquer le fameux Clash entre Booba et La Fouine. C'est quelque chose que tu suis ? Qui t'énerve ? Ou au contraire, c'est dans la logique du style musicale ?
En fait, je suis ça comme tout le monde. Pour moi c'est un feuilleton. Je suis l'histoire, on m'informe... Je regarde ça de loin avec beaucoup de recule. C'est leurs histoires à eux, j'ai rien à voir là dedans. Les clashs dans le rap il y en a toujours eu, sauf qu'avant il n'y avait pas internet, on ne faisait pas des vidéos... Ça m'intéresse parce que je regarde ça comme tout le monde, mais une fois que j'ai vu la vidéo j'éteins et je passe à autre chose. Je ne me dis pas "Ah tiens, ça va révolutionner le rap". Mais ça ne me choque pas et pour moi c'est un clash de plus. La France se met au niveau des américains, car ça faisait longtemps qu'on n'en avait pas eu de ce niveau là. Mais bon, IAM vs NTM en 1991 y a déjà eu... Et cette question que tu me poses aujourd'hui, je l'avais déjà en 1992, même si là j'étais plus impliqué car IAM c'est la famille. Mais aujourd'hui ça ne me touche pas.
C'est le mercredi 10 avril 2013 que Les Croods sortira au cinéma en France.
Le titre et clip "Daddy Crood", interprété par Faf Larage est disponible dans notre diaporama.
Propos recueillis par Quentin Piton. Contenu exclusif. Ne pas mentionner sans citer PureBreak.com