Le cinéma d'horreur regorge de séquences qui marquent à vie : le fameux twist de Psychose, la scène du dîner du Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, la séquence d'ouverture de Scream... Mais de mon côté, malgré le visionnage et revisionnage de ces classiques (j'aurais également pu vous citer la scène du déjeuner d'Alien qui vire au vinaigre, la première apparition de Freddy Krueger dans Les griffes de la nuit...) il a suffi d'un seul film pour me traumatiser, et surpasser tous les autres. Ce film est disponible gratuitement en ligne sur la plateforme de francetv. Et il s'agit de La mouche, le chef-d'oeuvre de David Cronenberg.
J'ai découvert ce film adolescent. Bien trop tôt. Puisqu'il a pour têtes d'affiche les excellents Jeff Goldblum et Geena Davis, je m'étais seulement dit à l'époque : "oh, un film fantastique au titre étrange avec le mec rigolo de Jurassic Park et l'actrice de Beetlejuice !". Retournement de situation inattendu : en vérité, ce film n'est pas fantastique, mais horrifique, tendance bien dégueu comme il faut, et s'avère dévastateur émotionnellement.
L'histoire ? Seth Brundle, scientifique de génie bien qu'un brin marginal, révèle à une journaliste, qui devient très vite son amante, son invention : la machine à téléportation. Révolutionnaire. Seul hic : un soir de beuverie, Seth tente la machine sur lui-même sans s'apercevoir... qu'une mouche s'y est infiltrée. La téléportation fonctionne, mais bientôt, le savant observe sur son corps d'inquiétants phénomènes... Et je n'étais pas prêt pour la suite des affaires. Vous ne le serez pas non plus.
Sans trop vous en dire, La mouche, remake d'un film de science-fiction plutôt farfelu des années cinquante (La mouche noire en VF), va mettre en scène, surtout après sa première heure, les conséquences monstrueuses de cette téléportation sur notre héros. Et ainsi donner le la à l'inventivité du maquilleur américain Chris Walas, chargé d'imaginer les transformations physiques les plus abominables. Sans grande surprise, Walas sera récompensé d'un Oscar pour ce travail hallucinant.
Derrière l'initiative de ce concepteur fou (on lui doit aussi les prouesses techniques de Gremlins) se profile l'inventivité malade de David Cronenberg. Un cinéaste passionnant considéré comme le pape d'un sous-genre très spécifique du cinéma d'épouvante : le body horror.
Tel que le suggère l'intitulé (horreur corporelle) le body horror désigne des films qui basent leur postulat, leur dramaturgie et leur évolution narrative sur la dégénérescence physique, le corps qui se dégrade, les mutations cradesdes leur(s) protagoniste(s). Très souvent, le corps n'évolue pas en vérité : il régresse, se détériore, avec un sens du détail anatomique qui fait tourner de l'oeil.
>> Mais c'est quoi ce film d'horreur hyper dérangeant (et français !) qui a triomphé à Cannes ? <<
Je ne pourrais pas vous proposer un exemple plus puissant de cette terreur organique que ce film. Car les effets visuels de La mouche, source de cauchemars infinis suite à mon tout premier visionnage (ces images n'ont en vérité jamais pu quitter mon esprit), sont atroces. Si l'horreur mise en scène est très graphique et expressive, elle témoigne aussi d'une minutie dans le réalisme qui effraie d'autant plus.
Mais si ce classique signé Cronenberg m'a marqué à ce point, c'est aussi parce que sa force émotionnelle est indéniable. On s'attache à ces amants, à leur histoire d'amour vrillant à la tragédie. C'est pour cela qu'assister à la métamorphose kafkaïenne de Brundle dégoûte, certes, mais surtout, brise le coeur. Malgré son pitch saugrenu, le film relate avant tout la confrontation d'un homme impuissant avec sa maladie. Qu'il décrit lui-même comme "une sorte de cancer très virulent".
Une réflexion qui le rend intemporel. Je pense que chacun peut associer bien des métaphores à ce spectacle poignant. Lors de sa sortie en salles, on y a surtout vu une allégorie du virus du Sida et de ses ravages, dans la mesure où le thème de la chair est, comme d'habitude chez David Cronenberg, omniprésent au sein de l'histoire. En tout cas, revoir le film sur francetv m'a rappelé sa facette tragique, plus encore qu'horrifique.
Et je vous encourage vivement à tenter l'expérience...