TV
Ce livre a joliment bousculé ma vision de la téléréalité (et mes gros préjugés)
Publié le 5 mai 2024 à 10:00
Par Clément Arbrun | Journaliste société
Journaliste Société et Pop Culture, Clément s'intéresse autant aux punchlines de Virginie Despentes qu'aux perruques de Bilal Hassani et aux blagues de Panayotis Pascot. Il aiguise principalement sa plume en papotant féminismes, genre et fashion, ce qui lui permet de parler d'Harry Styles, des gens pas toujours fréquentables qui emploient le mot "woke" sur Twitter et des dernières prods Netflix.
La téléréalité, c'est un sujet qui fâche : tous les médias en parlent aujourd'hui mais peu se risquent à le faire sans afficher leur dédain. Le public lui-même n'est pas exempt de préjugés et de mépris pour ces productions qui pourtant cartonnent. Mais je viens de dévorer un livre passionnant qui pourrait être la solution à tous ces raccourcis. Oui oui.
Ce livre a joliment bousculé ma vision de la téléréalité (et mes gros préjugés)
Je vous raconte pourquoi ce livre a bouleversé ma vision de la téléréalité (et mes gros préjugés) Si vous aussi vous pensez encore, 24 ans après la diffusion du tout premier épisode de Loft Story sur M6, qu'il n'y a rien à retenir de la téléréalité, si ce n'est le nombre d'heures perdues devant, un livre est fait pour vous : "Vivre pour les caméras" de la journaliste Constance Vilanova, qui vient de paraître chez JC Lattès, et dont le sous-titre est beaucoup plus parlant : "Ce que la téléréalité a fait de nous". 
Hyper incarnée, car ce récit écrit à la première personne est avant tout l'histoire d'une adolescente férue de télé (Constance Vilanova, donc) qui va grandir avec "Bachelor, le gentleman célibataire" (nostalgie), "Secret Story", puis "Les Anges" et "Les Marseillais", avant de prendre un peu/beaucoup de recul sur ces émissions aussi addictives que des feuilletons dont l'on adore retrouver les héros (et surtout, les héroïnes). Qu'est-ce que ça fait au juste d'être quasiment élevée par tous ces programmes ? Et qu'en retenir au bout de 20 ans ?  C'est une question loin d'être anodine que se posent forcément des milliers de téléspectateurs - peut être vous ?  
Nabilla Benattia-Vergara - Montée des marches du film " Killers of the flower moon " lors du 76ème Festival International du Film de Cannes, au Palais des Festivals à Cannes. Le 20 mai 2023 © Jacovides-Moreau / Bestimage La téléréalité, c'est un sujet qui fâche : tous les médias en parlent aujourd'hui mais peu se risquent à le faire sans afficher leur dédain. Le public lui-même n'est pas exempt de préjugés et de mépris pour ces productions qui pourtant cartonnent.  
Archive - Loana en 2009. © JLPPA/Bestimage
La suite après la publicité

Je dois l'avouer, je ne suis jamais tombé amoureux d'un show de téléréalité. Si l'on excepte, avec un brin de plaisir coupable en supplément, des programmes comme Cauchemar en cuisine ou Patron incognito. Surtout, j'ai mis beaucoup (trop ?) de temps à comprendre l'intérêt qu'ils pouvaient représenter quand on est journaliste. Oui oui, sans forcément faire l'objet de billets d'humeur "second degré" ou de tacles faciles.

Et si vous aussi vous pensez encore, 23 ans après la diffusion du tout premier épisode de Loft Story sur M6, qu'il n'y a rien à retenir de la téléréalité, si ce n'est le nombre d'heures perdues devant, lors de longues après midi passées à binge watcher NRJ 12 et W9, un livre est fait pour vous : Vivre pour les caméras.

C'est une enquête dense, vertigineuse et hyper incarnée de la journaliste Constance Vilanova, qui vient de paraître chez JC Lattès, et dont le sous-titre est beaucoup plus parlant : "Ce que la téléréalité a fait de nous".

>> L'Espagne aussi fait son #MeToo de la téléréalité : un candidat condamné pour agression sexuelle <<

Hyper incarnée, oui, car ce récit écrit à la première personne est avant tout l'histoire d'une adolescente férue de télé (Constance Vilanova, donc) qui va grandir avec Bachelor, le gentleman célibataire (nostalgie), Secret Story, puis Les Anges et Les Marseillais, avant de prendre un peu/beaucoup de recul sur ces émissions aussi addictives que des feuilletons dont l'on adore retrouver les héros (et surtout, les héroïnes). Mais qu'est-ce que ça fait au juste d'être quasiment élevée par tous ces programmes ? Et qu'en retenir au bout de 20 ans ?

Journaliste, Constance Vilanova a mené toute une enquête sur la téléréalité. © Marie Rouge

C'est une question loin d'être anodine que se posent forcément des milliers de téléspectateurs - peut être vous ? Et à laquelle l'enquêtrice répond avec une réflexion passionnante.

Et si en plus de ne rien comprendre à la téléréalité, on était totalement sexiste ?

Et si en plus de ne rien comprendre à la téléréalité, on était super sexiste ? C'est la première réflexion qui me vient à l'esprit quand j'achève la lecture de cette plongée dans le monde de ce qu'on a qualifié de "trash tv", pour "télé poubelle". Il suffit de voir les saillies bien méprisantes réservées à Loana et Nabilla hier, comme à Maeva Ghennam et Carla Moreau de nos jours. Qualifiées de bimbos, insultées, constamment décrédibilisées. Et pas forcément moins par les meufs que par les mecs : leur superficialité apparente a le don d'agacer viscéralement.

>> Les concerts, ça me saoule : merci Pierre de Maere de m'avoir fait changer d'avis à 30 ans ! <<

"La contradiction apparente entre mon engagement féministe et la consommation de ces programmes a été le point de départ de ce livre", avoue clairement Constance Vilanova. Qui incite à regarder plus loin : "Les boîtes de production ont-elles manipulé ces jeunes femmes pour en faire des marionnettes ultra-sexualisées ? Mais n'est-ce pas condescendant de présumer que les candidates sont passives ? Ne reprennent-elles pas plutôt le pouvoir sur le patriarcat en caricaturant ce que les hommes attendent d'elles... pour en faire un business ?"

>> Les Animaux Fantastiques a bientôt 10 ans, je l'ai ENFIN rattrapé, et c'est presque mieux que Harry Potter <<

Et la grande force de ce livre, c'est justement ce "elles" : parler d'un système, oui, mais surtout des personnalités qui participent à le façonner. Et s'en sortent plus (et moins) bien. Sans jamais reléguer leur vécu au second plan. La journaliste a donc recueilli les témoignages d'ex-candidates comme Luna Skye, que le public des Princes de l'amour 8 et des Marseillais connaissent bien. On la lit : "Quand j'ai passé mon premier casting, j'étais à fleur de peau. J'avais les larmes. Je venais de faire une fausse couche. Les médecins m'ont dit que c'était lié aux violences que j'avais vécues avec mon conjoint de l'époque. Juste après le casting, j'ai fait une tentative de suicide".

C'est un livre qui regorge de témoignages et bouscule les esprits. © JC Lattès

Et cette trajectoire dramatique, elle semble indissociable des stars de téléréalité. J'avais tort de ne voir que futilité là où, derrière l'écran, il y a du tragique bien réel : je le comprends quand Constance Vilanova revient sur la vie dramatique de Loana, des violences commises par son père, gamine ("Mon père était violent. Il pouvait me tirer les cheveux, me gifler, me taper la tête contre la table") à son actualité tout aussi déchirante aujourd'hui. La journaliste la compare à Marilyn Monroe, "autre femme-enfant victime toute sa vie de sexisme".

Et s'il y avait de la place pour l'empathie derrière l'entertainement et le cynisme ?

Qu'est-ce que la téléréalité a fait de nous au juste ?

Bien sûr, ce vécu peut vite virer au "pathos" dans lesdites émissions. Lesquelles, décrypte Constance Vilanova, ont tendance à "exploiter les traumatismes". Leur autre fâcheuse manie ? Banaliser à l'excès attitudes toxiques, idées rétrogrades sur le couple et l'amour, voire même... culture du viol. La culture du viol, c'est le fait de minorer, et d'euphémiser constamment, le harcèlement sexuel, les violences sexuelles, l'enjeu du consentement. De tolérer une impunité à l'encontre d'actes, d'attitudes et de propos qui viennent banaliser ces violences.

>> Frenchie Shore : une candidate fait son coming out trans... Ses camarades sont choqués et leurs réactions sont magnifiques ! <<

Et si c'était cette banalisation, voire cette acceptation, que la téléréalité souhaitait susciter en nous, quitte à envoyer valdinguer les avancées du mouvement #MeToo ? Je me le demande sérieusement face au poids des exemples qui abondent dans cette enquête : les accusations dont font l'objet Julien Bert et Illan Castronovo (que Constance Vilanova a pu interviewer dans ce livre !), la "réponse" aux abonnés absents des boîtes de production face à ces affaires, mais aussi les schémas-même de ces programmes, "puisqu'il existe des myriades d'exemples de candidates qui se sont vu reprocher par le groupe de ne pas 'passer à la casserole' avec leur amoureux du moment, comme Laura face à Nikola dans Les Marseillais vs Le reste du monde", relate l'autrice.

Dans cette enquête, la journaliste revient sur sa propre jeunesse, son rapport nostalgique aux émissions de téléréalité... Et ses désillusions. © Marie Rouge

Et ce passage au crible de motifs bien "cringe" qui font système dans la téléréalité, la journaliste le rend d'autant plus parlant qu'une fois encore, elle l'associe toujours à son propre vécu de spectatrice. Comme lorsqu'elle évoque sans filtre sa propension, encore lycéenne, à "bitcher" en mode Mean Girls sur le dos d'autres filles : "A l'époque, avec ma bande, je dénigre cette lycéenne qui a pratiqué une fellation dans les toilettes pendant une soirée, je note le physique des autres, j'approuve même si l'une d'entre elles est 'bonne ou non'. J'humilie les femmes pour plaire aux hommes, j'intègre la misogynie tout en essentialisant les femmes : toutes des chieuses".

En fait, ce comportement n'émane pas de nulle part, car l'idée bien contre-productive de rivalité féminine, qui ne profite en définitive qu'à un camp - celui des hommes - est l'un des ingrédients majeurs des émissions chères à la narratrice. Et alors même que les comédies romantiques n'exploitent plus ce filon qui semble hyper vieillot, la téléréalité s'en abreuve encore largement, comme une cour de récré où le harcèlement perdure. Twist, même si l'on consomme ces émissions "en sachant que c'est nul", on intériorise leurs valeurs réacs.

Chercher à comprendre ce que tous ces programmes abondants en Chtis, en villas et en idylles amoureuses ont "fait de nous", de notre rapport aux médias et aux relations, c'est ce que nous invite à faire Constance Vilanova dans ce récit qui mélange introspection impitoyable et enquête aux nombreux témoignages. C'est un livre rare car il rappelle que la téléréalité, ce n'est pas que de la télé : mais un sujet de société qui nous concerne tous. Une lecture à ne surtout pas zapper.

"Vivre pour les caméras : ce que la téléréalité a fait de nous", par Constance Vilanova, Editions JC Lattès, 250 p.

Mots clés
Télé réalité Livres
Tendances
Voir tous les people
Sur le même thème
Les Traîtres : une des célébrités a imposé une condition hallucinante à la production pour participer à la saison 3 play_circle
TV
Les Traîtres : une des célébrités a imposé une condition hallucinante à la production pour participer à la saison 3
27 septembre 2024
Beetlejuice 2 : le film a bien failli ne jamais sortir au cinéma suite à cette curieuse décision à laquelle Tim Burton s'est fermement opposé play_circle
CINÉ SÉRIE
Beetlejuice 2 : le film a bien failli ne jamais sortir au cinéma suite à cette curieuse décision à laquelle Tim Burton s'est fermement opposé
18 septembre 2024
Les articles similaires
The Cerveau : un candidat éliminé après seulement quelques minutes sur le tournage, il part sans dire au revoir et jette son uniforme au sol (spoiler) play_circle
TV
The Cerveau : un candidat éliminé après seulement quelques minutes sur le tournage, il part sans dire au revoir et jette son uniforme au sol (spoiler)
11 décembre 2024
Star Academy 2024 : Masseo et Julie en couple ? Face aux rumeurs, ils avouent enfin la vérité sur leur relation, "C'est vrai que ça..." play_circle
TV
Star Academy 2024 : Masseo et Julie en couple ? Face aux rumeurs, ils avouent enfin la vérité sur leur relation, "C'est vrai que ça..."
18 novembre 2024
Dernières actualités
"Lui, il est triste" : Vaimalama Chavez annonce sa rupture alors que "tout va bien" avec son chéri, les internautes sont sous le choc play_circle
ACTU
"Lui, il est triste" : Vaimalama Chavez annonce sa rupture alors que "tout va bien" avec son chéri, les internautes sont sous le choc
9 décembre 2024
Ne cherchez plus, on a trouvé les meilleurs calendriers de l'avent pour Noël 2024, et ils sont dispos sur SHEIN play_circle
LIFESTYLE
Ne cherchez plus, on a trouvé les meilleurs calendriers de l'avent pour Noël 2024, et ils sont dispos sur SHEIN
20 novembre 2024
Dernières news