Il est loin le temps où Barbie se résumait au coffre à jouets de ta petite soeur de six ans. Aujourd'hui, des adultes parfaitement censés s'extasient sur la poupée la plus célèbre de l'industrie Mattel.
Et plus précisément, sur les teasers du film Barbie de Greta Gerwig, version "live" du jouet mettant en scène Margot Robbie et Ryan Gosling - oui oui, des acteurs à Oscars dans un film Barbie. Résultat, sur Twitter, les mêmes adultes vont jusqu'à utiliser le "Générateur de Selfies Barbie" (dispo ici même) afin d'intégrer leur photo de profil à un filtre Barbie, détournant l'affiche du film, pour plus de fun : ces milliers de tweets auréolés du sous-titre "This Barbie is..." le prouvent.
Des montages si fédérateurs que la chose est rapidement devenue virale, comme si Barbie était le truc le plus cool au monde en 2023.
Drôle quand on pense que la poupée aux mille déguisements existe depuis plus de soixante ans. Pendant ce temps, Netflix a la bonne idée de proposer les (huit !) films d'animation Barbie, délices de kitsch absolu qui nous rappellent les plus longues après-midis des fêtes de Noël. Entre Barbie au bal des douze princesses et Barbie dans Casse-Noisette, absolument rien ne vous sera épargné. Mais d'où vient cette folie en fait ?
Si Barbie a été créée en 1959 par Ruth Handler, épouse de l'un des grands patrons de Mattel, en hommage à leur jeune fille Barbara (d'où le nom), pas besoin de remonter aussi loin pour comprendre cette hype.
L'an dernier débarquaient en ligne les premières images du film Barbie, une intention folle à l'appui : proposer une oeuvre féministe. Oui oui, du féminisme à partir d'un jouet qui est un peu le menu maxi best of du sexisme : une femme-objet (littéralement) au corps fin et aux courbes irréelles, matérialiste à bloc avec ses accessoires en plastique, ne jurant que par son apparence - son makeup, sa chevelure blonde, ses fringues.
Qu'à cela ne tienne, la cinéaste Greta Gerwig est convaincue que Barbie fait sens pour bien des filles et des femmes à travers le monde, malgré sa peau blanche et ses courbes très régime Weight Watchers. Dans le rôle titre, elle choisit Margot Robbie, l'actrice de Moi, Tonya et Babylon, la Harley Quinn de Birds of Prey, histoire de suggérer : ma Barbie est là pour casser des bouches et envoyer Ken se faire cuire un oeuf.
Un état d'esprit rock et badass pas si éloigné de celui d'une Olivia Rodrigo ou d'une Billie Eilish. Le succès du dernier teaser mis en ligne sur YouTube (18 millions de vues en neuf jours) et le partage massif des nombreuses affiches du film ont fini d'installer l'étrange équation "Barbie = cool" aux yeux d'Internet.
Sur l'un de ces posters hyper flashy, on voit d'ailleurs la popstar Dua Lipa poser... en sirène. Conclusion ? Tout le monde peut faire partie de l'univers Barbie. D'où le succès sur Twitter du filtre permettant de poser sa trogne sur l'affiche du film. Un buzz qui nous rappelle que Barbie, c'est comme Mario : tout le monde connaît, le symbole est universel, et le matériau de base si élastique qu'il peut raconter toutes les histoires.
Sur Twitter, le Barbie Selfie Generator convient d'ailleurs à tout le monde : héros de mangas et de jeux vidéo, twittos et twittas totalement anonymes, chanteuses (comme Lana Del Rey) ou même... Ghostface, le tueur vénér de la saga Scream. Oui oui.
A l'origine de ce gros buzz, il y a donc un film qui vient casser le web. Mais pas seulement.
Pour comprendre la fureur "Barbie", c'est aussi du côté des tapis rouges qu'il faut se projeter. Car depuis l'an dernier, les stars qui affolent les magazines people s'amusent à porter du rose pétant sous les spotlights ou sur Insta : Nicki Minaj, Hailey Bieber, Megan Fox, Lizzo, et même Rihanna en personne, se sont toutes affichées dans leurs tenues (voire même leurs perruques) les plus flashy... Un phénomène si systématique qu'on lui a même donné un nom dans le milieu de la mode : le "Barbiecore". Le "courant Barbie", littéralement. La poupée est décidément partout.
Pour les stars, s'emparer du rose bonbon et en faire le summum de la tendance revient à tourner en dérision l'imaginaire "girl power", cette appellation popularisée au temps des Spice Girls. Un peu comme délirer autour des films si mauvais qu'ils en deviennent géniaux, le "Barbiecore" est une célébration du kitsch et des clichés les plus énormes associés aux meufs. Tant et si bien que certains parlent même "d'hyperféminité".
Mais pourquoi vouloir à tout prix s'habiller comme une poupée Barbie ? La réponse va vous étonner : pour suggérer que la féminité, c'est surtout dans la tête. Que "masculin" et "féminin" ne se résument pas à une bête couleur criarde. Plus encore, que les mecs eux aussi peuvent devenir des princesses. La preuve : la star de rap Lil Nas X, connu pour ses clips bien provocs, aborde avec fierté du rose durant ses concerts. Quitte à devenir un véritable emblème du "Barbiecore" pour ses fans.
Avec sa longévité de grand-mère, Barbie était la ringardise incarnée, elle est presque devenue un objet subversif, qui vient nous rappeler que, oui, les mecs aussi peuvent porter du rose. D'où le carton aujourd'hui des mèmes Barbie sur la Toile, aussi bien chéris par les femmes que par ces messieurs. Puisqu'elle représente tous les codes de la féminité, Barbie permet aux hommes qui se fichent des stéréotypes de mieux s'affirmer.
Et on vous le tease : la tendance n'est pas près de s'arrêter. Les abondants - et super enthousiastes - commentaires YouTube générés par la bande annonce du film le démontrent d'ailleurs. "J'aime à quel point ce film est kitsch. Ca ressemble vraiment à ce qu'un enfant inventerait", "Les couleurs sont vraiment hyper pop", "Cette bande annonce est si colorée qu'elle rend les films Disney lugubres", s'amusent les internautes.
Car la tendance Barbie exprime aussi ça : un besoin de retourner en enfance. Le kiff de la bonne grosse nostalgie. Les souvenirs des dessins nuls de gosses, des crayons de couleurs, des dessins animés du samedi matin, des aprems passés dans sa chambre avec ses jouets. La nostalgie, un sentiment sur lequel jouent déjà les séries et films qui cartonnent ces dernières années : Stranger Things, la comédie eighties Crazy Bear, le dernier SOS Fantômes...
L'effet marche d'ailleurs si bien que certains en viennent d'ailleurs à ressortir le tube de Aqua, Barbie Girl. C'est dire si cette mode n'a aucune limite.
Clément Arbrun