Si vous avez déjà vu en salles - comme ce fut mon cas - des films comme Nymphomaniac (le chef d'oeuvre de Lars Von Trier avec Charlotte Gainsbourg) vous connaissez certainement la gêne éprouvée à subir en public des scènes de fesses. Croyez moi d'expérience cependant, il suffit parfois d'une séance bien moins explicite pour susciter silences pesants et toux éloquentes. Une atmosphère plus lourde qu'un temps parisien.
Par exemple ? Et bien il n'y a qu'à tenter au cinéma, comme je l'ai fait, l'étonnant La vie selon Ann, un premier film audacieux qui vient de sortir en salles et relate le quotidien de Ann, donc - interprétée par la scénariste/réalisatrice elle-même - une new yorkaise paumée qui tue l'ennui en nouant des relations sadomasochistes avec des amants de passage. Ordres décochés entre maître et "soumise" (ainsi qu'elle s'autoproclame), déguisements étranges, fessées, performances de domination très impudiques - et consenties...
Vous l'aurez compris au vu de mes énumérations, cette comédie noire est totalement sans filtre dans son exploration de la sexualité dite "alternative" : l'imaginaire BDSM. Mais le sujet, bien mieux illustré que dans un Cinquante nuances de Grey opportuniste, permet d'aborder plein d'autres choses, et c'est cela qui m'a particulièrement réjoui. Car je ne m'y attendais pas, mais on est loin, très loin de la provoc trash facile.
C'est quoi le gros souci de Cinquante nuances de Grey ? À mon sens, par-delà ses qualités artistiques très relatives, c'est, comme ont pu en témoigner les personnes concernées, de banaliser attitudes toxiques, clichés bien vieillots et stéréotypes sexistes peu réjouissants sous couvert de sujet "hot", scandaleux, sulfureux, traité totalement par-dessus la jambe - j'assume le jeu de mots douteux.
>> Ce livre a joliment bousculé ma vision de la téléréalité (et mes gros préjugés) <<
À l'inverse, je constate que La vie selon Ann privilégie une intention réaliste et respectueuse. Par exemple, l'enjeu fondamental du consentement est constamment au coeur des séquences les plus osées et folles. Même quand notre protagoniste se déguise en cochon (oui oui), le public comprend que tout est consenti, par le biais d'un dialogue, ou d'une séquence de tendresse qui suit la chose.
Plus encore, les sortes de jeux de rôles et autres "kink" bien spécifiques émanent parfois de l'initiative même de notre chère Ann. Si les corps à corps sont toujours hyper frontaux, Ann passant un grand nombre de scènes en tenue d'Eve, c'est toujours son désir à elle qui se retrouve au centre de tout. Quand celui-ci n'est pas satisfait, on éprouve sa frustration et sa lassitude, car c'est son point de vue qui importe plus que tout. Chose amusante, cela n'empêche pas le public de réagir, et c'est normal, par des rires très gênés, des soupirs (le rythme est très répétitif). Certains semblent chercher de l'aide du côté de leurs voisins ou être à deux doigts de se barrer.
Heureusement, les plus courageux sont restés.
J'ai apprécié la manière dont, malgré le malaise que peut propager ce film, sa cinéaste en est totalement consciente puisqu'elle fait le choix d'un humour très cinglant - la sexualité n'est jamais perçue avec jugements ou dépréciation. Elle fait partie de la vie de ce personnage. Elle s'ancre carrément dans la banalité de son quotidien. Ce qui donne lieu à des analogies que j'ai particulièrement adoré entre... Le monde du travail et l'ennui au lit. Dit comme ça la comparaison semble lointaine, mais le film croque sans craindre d'être percutant l'esprit d'entreprise, qu'il assimile, quelque part, à une autre forme de soumission... Mais moins consentie, celle-ci.
Un film subversif donc, mais pas forcément pour les raisons que l'on croit. Et une expérience à vivre en salles, histoire de soutenir une cinéaste audacieuse dont c'est le tout premier long.