Joli paradoxe, mais vivre de nouvelles expériences, c'est parfois se plonger dans un énorme bain de nostalgie. C'est clairement le cas lorsque j'accepte une mission périlleuse pour tout cinéphile qui se respecte : revoir La menace fantôme, "Star Wars 1" pour les intimes, au ciné. Et ce à l'occasion du "May the 4th" (jeu de mots habile, "May the Force", 4 mai, etc.), autrement dit du "Star Wars Day", mais aussi des 25 ans de l'opus.
Un anniv' événement, car lors de son retour dans les salles US, le film a cumulé 8,1 millions de dollars. Il en fera quasiment deux fois plus au box office mondial.
Preuve en est que les gens ne se lasseront jamais de Star Wars. Mais surtout, qu'ils semblent enfin prêts, comme l'a démontré le come-back inespéré de Hayden Christensen (Anakin Skywalker dans les volets II et III), à réhabiliter une série de films si longtemps conspuée : la "prélogie", autrement dit la deuxième trilogie Star Wars, entièrement mise en scène, écrite et chapeautée par son instigateur, monsieur George Lucas.
Ce retour de hype, je le comprends très rapidement en débarquant en plein week-end pluvieux dans une grande salle comble, celle du MK2 Bibliothèque, audience excitée par la séance à venir. L'attente semble totale.
La preuve ? Au fur et à mesure, j'observe les bandes de potes, les fans solos et les couples s'accumuler, bonder les rangées de sièges rouges, et quelques murmures se font entendre : "on va finir le paquet de popcorn avant la séance quand même", "quand ça commence, on se tait : c'est Star Wars !", "là, c'est pas ton film, hein, c'est pas Anatomie d'une chute, non, c'est Star Wars". En 2024, La guerre des étoiles est encore une religion.
Et soudain, les lumières s'éteignent...
Si vous n'avez jamais vécu un Star Wars en salles, le meilleur comme le pire, vous ignorez peut-être cette sensation : constater qu'un public vibre tout entier lors d'une projection. Dès que les premières notes épiques de John Williams résonnent lors du fameux générique d'ouverture spatial, un spectateur crie "Allez !!" et des applaudissements furieux et collectifs s'ensuivent dans l'assistance. Même son de cloche, au générique de fin. Ce sont des rituels, quel que soit le cinéma, un signe de reconnaissance fédérateur entre fans.
>> Les concerts, ça me saoule : merci Pierre de Maere de m'avoir fait changer d'avis à 30 ans ! <<
Mais malgré l'enthousiasme communicatif, j'éprouve vite un brin d'appréhension : comment a vieilli ce film doudou, que j'ai découvert dès sa sortie, à l'âge de six ans ? (oui, ça fait tôt). La première impression est la bonne, puisque je comprends enfin le vrai visage de La menace fantôme : sa condition de fresque politique. Un space opera qui parle constamment de Sénat, de manipulations, de diplomates, de coups d'Etat, de République, de marché et de lois du commerce. Pas hyper sexy pour un divertissement familial, pas vrai ?
>> Ce livre a joliment bousculé ma vision de la téléréalité (et mes gros préjugés) <<
Pourtant, c'est ce qu'a choisi de nous raconter George Lucas, et ça, c'est plutôt culotté. Et revoir ce spectacle une fois adulte, c'est mieux entendre analogies et réflexions sur la démocratie, le pouvoir et le peuple. Point positif, sauf que, sans prévenir, débarque l'épouvantail de cet opus : Jar Jar Binks. Un Gungan (grande bestiole aux yeux globuleux) extrêmement cabotin qui craint viscéralement deux choses : la violence et le silence.
La preuve, c'est qu'il jacte sans répit, multipliant vocabulaire douteux, blagues et mimiques atroces. Monté sur ressorts, Jar Jar Binks est la synthèse des pires comiques et persos Disney en un seul individu maléfique. Chacune de ses apparitions est l'occasion d'un one man show impitoyable de malaise.
25 ans après, on peut le dire : Jar Jar Binks reste la plus grosse erreur de tout l'univers Star Wars, une créature imaginée pour susciter gêne et détestation, quelle que soit votre situation dans la galaxie. D'ailleurs, la seule bonne scène où figure Jar Jar Binks, la voici : lorsque l'énergumène déploie sa langue pour becter et que le maître Jedi Qui-Gon Jinn (Liam Neeson) lui dit "Arrête de faire ça !". Forcément, quand c'est l'acteur de Taken en personne qui vous décoche une telle menace, la remise en question est immédiate.
Si je m'attendais à ne pas retourner ma veste concernant cette atrocité en images de synthèse, un sentiment global parvient à me bousculer : l'impression de générosité qui émane du film. La menace fantôme m'apparaît comme un doux contrepoint aux récents Star Wars, autrement dit, une oeuvre hyper colorée et solaire, qui ne privilégie pas forcément le tragique mais à l'inverse, un ludisme décomplexé qui fait du bien. Ou plutôt, qui s'exerce à conserver un équilibre (dans la Force) entre gravité sourde et fun disproportionné.
En cela, La menace fantôme est le film de George Lucas qui ressemble le plus à du Steven Spielberg. Je connais l'amitié éternelle qui lie les deux zoziaux (et leur collaboration sur la trilogie Indiana Jones par exemple) mais cela ne m'empêche pas de m'étonner de l'illustration par l'ami Lucas d'une thématique chère au réalisateur de E.T. : le deuil de l'enfance et de l'innocence. Un sujet mis en images lorsque le tout jeune Anakin Skywalker, gamin et futur Darth Vader, dit adieu à sa mère par exemple. Libéré de son statut d'esclave, Anakin offre un dernier câlin à celle qui compte le plus à ses yeux, et qu'il jure d'émanciper. Un jour.
Là, c'est un silence de cathédrale qui recouvre la salle : cette séquence-émotions ne laisse personne insensible, et elle est d'autant plus mélancolique que l'on sait par avance tout ce qui va (mal !) se passer pour la mère et le fils dans les années à venir. C'est aussi l'occasion d'observer Anakin, bien avant son entrée dans le côté obscur, sous son envers encore candide, empli d'espoir, d'idéaux et d'empathie. Ca touche en plein coeur.
Mais côté "fun disproportionné" alors ? C'est simple, j'ai l'impression que les spectateurs trépignaient d'impatience à l'idée de frémir devant quelques scènes restées inoubliables, comme la course de vaisseaux réécrivant Ben Hur à la sauce vidéoludique (génération Playstation), le combat Qui-Gon Jinn/Obi-Wan Kenobi/Darth Maul (et son fameux double-sabre) et la chevauchée héroïque d'Anakin façon explosion de l'Etoile de la Mort à la toute fin.
Des instants qui ont su conserver leur aura épique et leur découpage parfaits 25 ans après ! Si voir La menace fantôme très jeune nous fait idéaliser ces "climax", je vous rassure, ils sont bel et bien euphorisants après deux décennies de grosses machines hollywoodiennes visionnées (et subies). Ce qui m'a giflé sans pitié, c'est le sound design affolant déployé lors de la course de pods citée plus haut. C'est en grande partie cette "mise en son" hyper immersive qui fera vibrer nos sièges et susciter quelques mines sidérées dans la salle. Quant au "duel à trois" contre l'apprenti Sith, ce sont ses chorégraphies qui s'occupent de traumatiser le public.
Voilà finalement un beau résumé de ce qu'un bon Star Wars doit nous proposer : de l'action qui rappelle à tous les maestros du divertissement "qui est le patron", une mythologie qui démontre son impact lors des instants fugaces, comme une simple discute entre une mère et son fils, de l'émotion, qui ravive notre attachement à ces personnages, et... Tout bêtement, des images qui en jettent. Car La guerre des étoiles, c'est surtout à mes yeux un tour de grand huit, une attraction qui doit te renvoyer à l'émerveillement de tes premières séances.
Et cela, le temps n'est pas parvenu à l'effacer. Chapeau, George.