Connais-tu le pire cinéaste de l'histoire ?
Indices : il a massacré des jeux vidéo cultes comme Alone in the dark, il a sa page dédiée sur le site Nanarland (celui des "mauvais films sympathiques"), il n'hésite pas à boxer sur un ring les critiques de cinéma qui ont eu l'audace de questionner la qualité de son oeuvre, et il a transposé à l'écran l'une des créations vidéoludiques les plus trash, gore et polémiques qui soient : Postal. Réponse : il s'agit évidemment d'Uwe Boll.
Véritable phénomène des forums cinéphiles au cours des années 2000, érigé en Dieu du nanar, Uwe Boll est de retour... en tant qu'acteur. Dans son propre rôle. Et sur grand écran. Oui oui. Dans un film roumain, en noir et blanc, de trois heures. Oui oui oui. Mais surtout, c'est un film qui ne ressemble à aucun autre, punk, subversif, à l'humour très acidulé, et à découvrir dès à présent en salles : N'attendez pas trop de la fin du monde.
Tu ne dois pas le louper...
De quoi, ça parle au juste, N'attendez pas trop de la fin du monde ?
L'affiche du film, certainement la plus suicidaire de l'année en terme de marketing (un montage Paint.net improvisé), pose bien le mood. Ce récit nous immerge dans le quotidien d'une assistante de production qui se doit d'interviewer des accidentés du travail dans le cadre d'une campagne de sensibilisation désirée par une multinationale cynique.
Entre deux heures de conduite auréolées de dance music et de rock roumain, dans un Bucarest à la circulation chaotique, notre protagoniste, qui rote et pète malgré sa robe à paillettes classieuse, fait des TikTok où, le visage recouvert d'un filtre lui conférant l'apparence de l'influenceur masculiniste Andrew Tate, elle balance les pires horreurs misogynes. La jeune femme dit incarner un personnage satirique "à la Charlie Hebdo".
Andrew Tate, pour rappel, c'est ce vidéaste anti-féministes qui en juin dernier a été arrêté et mis en examen pour viols et trafic d'êtres humains, en Roumanie, justement. Il est l'une des cibles de cette satire ovniesque qui passe tout au crible par le biais de sa protagoniste irrévérencieuse : la société roumaine, le sexisme, la xénophobie, les accidents de voiture en Roumanie, mais aussi la mort de la Reine d'Angleterre, la guerre en Ukraine, Poutine, et même... Le décès de Jean-Luc Godard, par suicide assisté, en Suisse.
De Godard, le cinéaste roumain Radu Jude emprunte beaucoup : par exemple, on oscille sans cesse de l'intrigue principale, en noir et blanc, à des extraits de film vintage, en couleurs, relatant une toute autre histoire. Un film dans le film, donc, dans une oeuvre traversée de citations (de réalisateurs, poètes, politiques), comme un vaste patchwork culturel. Les narrations s'emmêlent, les sujets de conversation aussi, les tonalités encore plus - d'un capharnaüm absolu (l'autoradio de l'héroïne passe les plus tonitruants tubes du pays) - et le tout fiche le tournis.
Et Uwe Boll alors ?
Il apparaît dans le rôle d'un cinéaste autoritaire en plein tournage d'une série Z - un film de monstres aux effets très rudimentaires - et s'autorise un petit TikTok ponctué de "Fuck You !", doigts d'honneur en évidence, avec notre héroïne. Une scène qui résume bien ce film très drôle et méchant, improbable, burlesque, vulgaire, tout autant que sublime. Un peu comme un long sketch de Sacha Baron Cohen, l'interprète provocateur de Borat. Mais en Roumanie.
A cette image, N'attendez pas trop de la fin du monde est le film de la "fuck you attitude" par excellence : un manifeste punk qui incarne bien l'adage "il faut le voir pour le croire". Et ça, c'est très rare.