Le monde se divise en deux catégories : les nanars volontaires, autrement dit les films qui se jouent ouvertement de leur nullité assumée - ils envahissent salles et marché vidéo depuis le succès de Sharknado - et les vrais nanars : les films inconsciemment nuls. Ceux-ci sont de plus en plus rares dans nos salles, alors que l'industrie hollywoodienne privilégie suites, reboots, remake, ou bien les oeuvres très second degré, ironiques, métas, offrant peu d'occasions aux idées originales et incongrues d'éclater.
On a pu encore le constater cette année, de la suite à succès En eaux (très) troubles, film de monstres pas plus sérieux (ni plus drôle) que le Sharknado cité plus haut, et l'abominable film de vampires Reinfeld, sorte de satire parodique et cynique de Dracula, avec un très cabotin Nicolas Cage dans ledit rôle. Deux films conscients de leur ridicule. Mais c'est un miracle : Hollywood peut encore produire de vrais nanars malgré tout.
La preuve avec une oeuvre de science-fiction/action à découvrir dans les salles obscures : Hypnotic. Dernier film en date de Robert Rodriguez, grand ami de Quentin Tarantino surtout connu pour Une nuit en enfer, The Faculty et Machete, Hypnotic relate l'histoire d'un flic qui va se confronter à un méchant super-hypnotiseur pouvant contrôler sa vision du réel. Manipulé par cet antagoniste aux pouvoirs illimités, notre héros comprend très vite que cette némésis qu'il poursuit sait potentiellement des choses sur sa fille, portée disparue...
Si ce postulat mixant thriller et fantastique intrigue, le résultat nous laisse ébahi : jeux d'acteurs à la ramasse (Ben Affleck y poursuit sa dépression de longue date), dialogues tout droit sortis d'un film d'action des années 90, effets visuels pas toujours heureux, et surtout, ribambelle de péripéties et de twists improbables...
Un délice.
Si trop en dire sur Hypnotic reviendrait à gâcher le spectacle , précisons simplement que l'oeuvre pousse très très haut la suspension d'incrédulité - ce pacte de cohérence conclu entre public et réalisateur à propos de l'acceptation des codes de l'univers déployé. Ici, l'incrédulité s'envole jusqu'aux étoiles. Les instants gore tout à fait gratuits succèdent aux retournements de situation absurdes, qui eux-mêmes succèdent à des trouvailles de scénario paranos/portnawak dignes d'un vieux épisode de X-Files. Et peut être pas le meilleur.
>> Ce film raté (mais culte) que sa star décrit amoureusement comme "une merde" <<
Le film frise tellement avec le "what the fuck" qu'on en vient presque à le trouver attachant, dans un paysage hollywoodien très policé et plus vraiment permissif envers ce genre de folies. Ca n'a l'air de rien, mais Hypnotic gagne depuis sa sortie sa réputation de pur nanar d'anthologie. Le Guardian se réjouit de cette "version goofy de Inception". Et salue un "film absurde et ridicule sur le pouvoir de l'hypnose, une série B qui ressemble à un blockbuster d'il y a 20 ans", servi tout du long par "la performance parfois hilarante de Ben Affleck".
Même son de cloche chez les utilisateurs de Rotten Tomatoes (la Bible des notes de films) qui ont attribué à cette masterclass "des scores aussi catastrophiques que ceux de Justice League", s'alarme ScreenRant. C'est dire le monstre. Du côté de Reddit, les "Probablement le pire film que j'ai jamais vu" ne manquent pas. En France, 20 Minutes se délecte également, aval du cinéaste à l'appui, d'un "nanar aux péripéties aussi invraisemblables que réjouissantes, amusant, rocambolesque, jamais à cheval sur la vraisemblance".
Ce qui fait le sel de Hypnotic, c'est cette rencontre entre un esprit de sérieux total et un sens de la disproportion absolument peu raisonnable - dans ses effets visuels, ses trouvailles, l'ampleur de son non-sens. Une générosité qui se retrouve dans cet étalage de courses-poursuites, de fusillades et de révélations fumeuses. Et ce combo, c'est le secret des meilleurs "mauvais films sympathiques", comme le définit le site de référence Nanarland.
Bref, un film à voir ne serait-ce que pour pouvoir dire "j'y étais". Avec beaucoup de popcorn évidemment.