Comment est venue l'idée de ressusciter La Grosse Emission ?
Je crois que Claire Basini, la patronne de Comédie+, s'est cognée la tête contre une porte, est devenue folle et a décidé de prolonger sa folie au point de relancer l'une des émissions les plus cultes de l'histoire de la télé française.
Et tu ne ressens pas une certaine pression à l'idée de passer après Dominique Farrugia, Alain Chabat ou encore Kad & O ?
Non. Ce n'est pas un non arrogant, mais un non qui relativise. Je suis payé à faire des blagues. Si l'émission se passe bien on la prolongera et si ça se passe mal on fera autre chose. Il y a un grand philosophe qui a dit "Ce n'est que de la télé". On ne m'a pas appelé en me disant qu'il fallait que je fasse 4 millions de téléspectateurs. Ça change la donne, j'ai pas de pression là-dessus. Après, je me lamenterais si l'émission n'était pas drôle. Dans ce qui est Comédie+ et ce que ça représente, il n'y a pas un enjeu d'audiences, mais un enjeu de créativité.
Justement, on peut s'attendre à quoi comme nouveautés pour cette version ?
Déjà je n'aurais pas les Robins des Bois. Mais il y aura évidemment des jeunes talents. On s'appuie sur le cahier des charges de l'émission précédente. Il y aura des formats courts novateurs aussi et on rajoute à ça des interviews rigolotes, assez détentes. Il faut juste que ça soit drôle.
Et tu n'es pas trop déçu de ne pas plus participer aux différents sketchs ?
Non, je suis à l'écriture, au développement. Quand je jouais au foot j'étais plus passeur que buteur. Je préfère écrire un bon concept pour quelqu'un, plutôt que de me l'approprier. Il n'y a pas d'ego dans l'écriture. Il y a des gens parfois qui font des sketchs et tu te dis "Ah, si un autre l'avait fait, peut-être que ça aurait été plus marrant" (rire). C'est ma troisième émission et j'ai appris avec le temps que j'étais faussement au centre de tout. Je fais des interviews pour laisser les talents se préparer pour vous faire rire et j'en suis hyper heureux. Le plus important c'est que le gens se disent à la fin "Putain ça passe vite".
Puisque La Grosse Emission sera liée à l'actu, vous allez vous interdire certains thèmes ?
Non non. La vraie question ce n'est pas l'interdiction, c'est la qualité pour les traiter. On est rentré dans un truc post-Charlie assez symptomatique. La peur s'est glissée dans l'humour. Je suis partisan de dire que l'humour doit amoindrir la peur. On a créé un personnage qui s'appelle "Abou Chelou", qui est un djihadiste en Syrie mais qui reste une petite caillera française. Et j'avais besoin de créer ce personnage-là. Quand je vois les Kouachi qui sont des abrutis finis, des golmons... Ils font des trucs où ce n'est même pas organisé. Après ça n'enlève pas la tragédie des 17 morts, mais il vaut mieux se moquer d'eux que d'avoir peur d'eux. François 1er avait un bouffon et la société française a besoin de nous.
Donc vous allez aussi faire des vannes sur Canal ?
Mais bien sûr qu'on va les faire. Mais on va pas rire du groupe, on va rire de ce que vous, vous pensez qu'il se passe dans le groupe. Est-ce que vous croyez vraiment que Vincent Bolloré (président des conseils de surveillance de Vivendi et du groupe Canal +, ndlr) vient le matin dans mon bureau ? Tout l'humour repose sur la déconstruction. Et quand tu prends le climat actuel où les gens sont persuadés que l'on a Bolloré au téléphone, qu'il doit avoir un carnet et qu'il se dit "Ah, c'est le moment d'appeler Yacine. Ca va Yacine ? Cette vanne là sur Abou Chelou, vous pouvez pas la faire"... Les gens se fantasment une importance qui n'existe pas. Ca n'enlève rien au climat ou au scepticisme. Mais la réalité c'est que je ne l'ai pas croisé, qu'à priori je ne vais pas le croiser. Et si je le croise et qu'il m'appelle tous les jours, ça serait grave pour son groupe. (rire) Car si le mec plante des milliers de salariés pour un comique comme moi pour lui dire "Bonjour Yacine. J'ai vu l'émission hier, c'était moyen"... J'ai fini par avoir de la tendresse pour le climat actuel malgré ce qu'il se passe.
Comment ça ?
J'ai des potes des Guignols de l'info qui ont été remerciés et ça m'affecte. Mais quand je suis entré dans ce métier, je suis entré en sachant ces conditions-là où tu peux être remercié du jour au lendemain. On a bien arrêté Le Bébête show ou Intervilles... Donc aujourd'hui, ça me fait marrer d'entendre certains dire "- Vous arrêtez mon émission ? - Ba ouais regarde, le cours de pub a baissé, tu vas dégager et on va passer à autre chose". Et c'est ce qui fait que notre métier est si magnifique et si complexe, c'est que c'est organique. Tous les jours t'as une nouvelle, t'as un chroniqueur qui est viré. On est devenu des fonctionnaires du rire. C'est-à-dire que t'as des petits mecs pépères qui écrivent des vannes et qui ne font pas trop de vagues parce qu'ils se disent "Il faut que je reste". Moi j'ai fait les pires vannes, je me suis fait virer et je suis revenu parce que je suis un créatif. La question c'est pas de se dire 'je vais partir' mais 'qu'est-ce que je fais pour revenir ?'
Tout à l'heure tu disais ne pas avoir de pression avec La Grosse Emission, même s'il faut que ce soit drôle. C'est quand même pas la chose la plus simple à faire, surtout avec un tel héritage sur Comédie+...
C'est ça que je trouve effroyable. Il y a tellement de trucs pas drôles qu'aujourd'hui, que quand tu fais un truc drôle, les gens te remercient. J'ai pas de jugement sur les mecs pas drôles, parce que ça m'affecte. Quand t'es pas drôle, t'es dans un rapport temporel qui n'est pas le même, c'est Matrix. Tu vois tout au ralenti. Et souvent quand t'es dans le public et que c'est pas drôle, tu en veux au mec. Quand on te dit : "Je te jure je vais te faire rire gars. Je vais changer ta putain de vie. Tu vas sortir de là et t'auras le smile" et que c'est pas drôle, t'as envie de le démonter parce qu'il t'a fait perdre une heure de ta vie. Donc oui, il y a une seule pression, c'est le rire. Le vrai salaire c'est vos rires.
Le vendredi sera une émission spéciale avec une scène ouverte pour des inconnus. C'est important pour toi ?
Sur Comédie+, on a tendance à former des talents et à les refourguer, comme Jordi et Martin au Grand Journal. Donc j'essaie de ne pas trop m'attacher à ces talents car je sais que j'en aurais d'autres et ainsi de suite. Je suis très fier quand je vois leurs têtes ailleurs, mais la question d'après c'est : "Qui on prend pour passer à autre chose". Donc le vendredi, c'est une forme de cabaret urbain et on dit aux talents : "La lumière est allumée, vous venez, vous avez un set de 5 minutes et vous ne serez pas jugés. Les seuls qui vous jugeront seront devant vous, si vous êtes marrants ou non..." Moi je ne suis personne, je ne vais pas juger un paire. Les avocats s'appellent "confrères" entre eux, c'est pas pour rien. Ils ne se discréditent pas les uns les autres. Je pense que dans l'humour ça ferait du bien. T'as une scène ouverte le vendredi, t'es un champion et bien on te fait venir lundi et t'as un contrat sur 5 jours. C'est ça qui manque en France, c'est l'immédiateté du talent.
La Grosse Emission est diffusée tous les jours sur Comédie+ à partir de 18h22.
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