N'ayons pas peur des mots : Killers of the Flower Moon est un grand film. En trois heures trente, le dernier long-métrage de Martin Scorsese, à découvrir en salles, nous relate le massacre par quelques Blancs avides de pouvoir d'une communauté amérindienne, les Indiens Osage. Menée - en douce - par William Hale (Robert De Niro), cette action sanguinolente (et bien réelle) prend place au cours des années 1910-1930. Une histoire de meurtres abjects où l'on suit surtout le neveu de Hale, Ernest.
Celui-ci est incarné par un acteur qui fête ici ses vingt ans de collaboration avec "Marty" : Leonardo DiCaprio. Cela faisait dix ans déjà, depuis la sortie de l'affolant Loup de Wall Street, que les deux n'avaient pas reformé leur binôme. Ca fait du bien de les retrouver, surtout dans une oeuvre aussi ambitieuse et complexe...
Car Killers of the Flower Moon est à la fois une fresque historique, une romance tragique (entre Ernest et Molly, Amérindienne incarnée par Lily Gladstone), et une critique acerbe de mille et une choses : le massacre des Indiens d'Amérique, le "privilège blanc", le patriarcat - il est question d'hommes qui tuent les femmes, sujet hélas atemporel.
Mais surtout, c'est un exercice de déconstruction. Voire de destruction : comment Martin Scorsese offre à Leo DiCaprio son rôle le plus dangereux artistiquement parlant. Et son plus audacieux. Rien que ça !
Dans Killers of the Flower Moon, Leo DiCaprio incarne donc Ernest, le neveu de William Hale, débarqué dans cet univers d'ultraviolence et de manipulations pour servir les desseins de son tonton autoritaire : s'occuper du "linge sale" et notamment de meurtres en série afin que l'argent des Osage revienne à Hale.
Et pourtant : Ernest n'a rien, mais alors rien d'un gangster.
C'est curieux, dans un cinéma, celui de Martin Scorsese, qui a figé la figure du gangster amoral et flamboyant, n'obéissant qu'aux codes de son propre cercle, en marge de la société conventionnelle. On pense évidemment aux Affranchis (1990) et à son protagoniste, le flambeur cocaïnomane Henry Hill. Un anti héros qui questionne notre éthique en nous partageant, voix off à l'appui, la jubilation qu'il éprouve lors de son ascension.
Mais la vie d'Ernest n'a rien d'une fresque épique : elle est pathétique.
Moralement, il est tout aussi douteux qu'un malfrat. Sa révérence absolue envers son oncle va le pousser au fin fond du mensonge, l'inciter à faire du mal, même à ceux - c'est à dire à celle - qu'il aime. Physiquement, c'est tout aussi fort : Leonardo DiCaprio s'est enlaidi pour le rôle. Loin des shooting photos retouchés, il assume un poids et un âge certains. On est loin, aux antipodes mêmes de la Leo-Mania sexy de l'époque Titanic !
Intellectuellement, Ernest n'est pas plus grisant. Lorsque son oncle lui demande s'il lit, notre protagoniste se contente de dire "qu'il sait lire", après de longues secondes d'hésitation. Ernest se prend pour un cowboy mais on est très loin de la lucidité foudroyante d'un Clint Eastwood. Il n'est pas la lame la plus affûtée du tiroir. Durant 3h30, bien que participant au massacre, il ne sera qu'un pantin, imbécile, aux mains de son tonton despote.
Bouffi, plein de mimiques encombrantes et cabotines, moins acteur que second rôle complètement soumis aux décisions d'un père de substitution qui l'infantilise totalement (jusqu'à lui donner... la fessée !), Ernest incarne l'anti-Leonardo DiCaprio : on n'aurait pas pu imaginer la star américaine assumer à ce point une partition anti glamour, dépourvue de tout héroïsme, extrêmement ambiguë moralement parlant. C'est puissant.
Oui, Ernest "adore l'argent", dit-il. Comme Jordan Belfort, le (anti) héros du Loup de Wall Street. Mais une chose le différencie radicalement de ce dernier : l'intelligence (bien moindre), et surtout l'absence totale de cynisme. Amoureux de sa dulcinée Molly (interprétée par une Lily Gladstone qui le bouffe illico niveau charisme), qu'il va pourtant faire souffrir, Ernest est une figure ridicule, antipathique, tendre, complexe... Tout cela à la fois.
On aimerait clairement "adorer le détester" mais c'est bien plus difficile que ça. Une chose est certaine, Leonardo DiCaprio ne s'est jamais éloigné à ce point de sa zone de confort. Et c'est plutôt fascinant à contempler.
Pour vous en assurer, une décision s'impose : vous embarquer dans ce voyage vertigineux dès que possible. Une très grande expérience de cinéma.