Comment obtient-on deux Oscars ? En devenant petit à petit l'une des actrices les plus essentielles d'Hollywood, tout naturellement. Mais aussi, en s'armant de patience. Ça, c'est la leçon que nous donne Emma Stone, sacrée pour ses partitions admirables dans La La Land et Pauvres Créatures, mais dont le destin ne s'est pas écrit du jour au lendemain.
Car avant la Emma Stone multiprimée que l'on a pu suivre dans La Favorite et Kinds of Kindness, celle du Birdman d'Alejandro González Iñárritu, ou des cinémas de Damien Chazelle et Yorgos Lanthimos, et des deux blockbusters Amazing Spider Man, il y a eu la Emma Stone... de Easy A, ou Easy Girl (titre français). Une petite perle de la comédie américaine à rattraper (gratuitement) en streaming sur la plateforme de france tv.
Car ce feel good movie étonne par son pitch gentiment irrévérencieux : une étudiante décide de se faire passer pour une "fille facile" auprès de ses pairs ou comme elle l'énoncera avec dérision : une "garce". Et si ce postulat peut faire grincer des dents (on imagine le malaise), le résultat détonne, principalement grâce à l'énergie impressionnante et communicative de son interprète. Qui, dès 2010, témoignait déjà d'un talent impertinent...
Avant Crazy, Stupid, Love et La Couleur des sentiments, avant d'incarner Gwen Stacy, avant Gangster Squad et le biopic féministe Battle of the Sexes (sur l'un des plus fameux épisodes de l'histoire du tennis pro), Emma Stone a donc conquis le coeur de l'Amérique avec cette relecture hyper-contemporaine d'un très grand classique de la littérature américaine : La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne (1850).
Avec ce pitch à base de réputation féminine, Easy A tord le bras à un gros cliché, celui de la "fille facile", et s'attaque de fait à un phénomène qui s'est gravement exacerbé depuis la sortie du film : le "slut shaming". Le "slut shaming" désigne la manière dont les femmes, particulièrement les plus jeunes, sont constamment jugées sur leur sexualité (présumée) selon leur attitude, leurs propos, leur tenue... Sur les réseaux sociaux, cette misogynie systémique s'est largement banalisée.
Bien sûr, le sujet est abordé avec légèreté, d'autant plus qu'il prend place dans un univers hyper codifié blindé de stéréotypes : la "garce" et la "reine des abeilles" à la Mean Girls y occupent un rôle aussi important que les quaterbacks ou à l'inverse les geeks et autres marginalités du bahut.
Tout cela est très "cliché", mais ça marche. Car la personnalité pétillante d'Emma Stone, fausse candide totalement décalée, fait toute la différence. L'actrice au timing comique irrésistible et au caractère fort s'affirme déjà aux antipodes d'un "girl power" hyper consensuel et opportuniste, et parvient à contrecarrer les attentes. Comme si elle refusait qu'on l'enferme dans une case : elle développera d'ailleurs cette logique par la suite en sautillant d'un genre cinématographique à l'autre.
Une partition qui lui vaudra d'ailleurs un MTV Movie Award en 2011. Logique - même si on est encore loin de l'Oscar. Easy A, à sa manière, permet de découvrir les origines d'une légende hollywoodienne.