Purebreak : Avec les singles 'Les 10 Commandements du MC' et 'Abuzeur', je m'attendais à un album ultra léger et tout en second degré. Il l'est, mais pas seulement. Il y a aussi des titres sombres et réalistes. D'ailleurs tu ouvres cet album avec une version 2015 de 'J'pète les plombs', plus triste et violente qu'il y a 15 ans. Tu rappes "t'as tout perdu, tes rêves, ta foi, tes espoirs" : finalement la vie, c'était mieux avant ?
Disiz : Non, pas forcément mieux. C'est juste que j'avais évidemment beaucoup plus de naïveté quand je rappais à 20 ans qu'à 35. Aujourd'hui j'ai un regard beaucoup plus précis sur l'époque à laquelle on vit, sur le contexte social dans lequel on est. Le J'pète les plombs de 2010 parle quand même déjà de quelqu'un qui craque mais sous la forme de l'humour. Celui de 2015 est beaucoup plus réaliste. Le titre s'appelle d'ailleurs Basic Instinct, j'ai fait exprès de ne pas l'appeler J'pète les plombs 2 parce que ce n'est pas une suite. Basic Instinct ce sont les instants premiers, et chez moi c'est la colère. J'ai voulu faire une ouverture comme ça parce que je suis en colère. Mais je suis aussi quelqu'un de lumineux comme le montrent d'autres morceaux de l'album.
Dans le morceau 'Heureusement', tu dis : "le rap m'a fait me défouler, m'a fait rapper toute cette violence refoulée". Est-ce que c'est parce que le monde aujourd'hui t'énerve que tu n'as finalement pas arrêter de faire du rap comme tu l'avais annoncé fin 2010 ?
Ce n'est pas que ça. Si je continue c'est avant tout parce que j'aime trop cette musique là et que je suis un artiste sensible, il faut que j'exprime tout ce que j'ai à dire, soit par la musique, soit par les bouquins, le cinéma ou le théâtre. Ce disque là, c'est une photographie de mon adolescence, mais avec un regard d'adulte. Le moment où j'ai vraiment aimé le rap et où je ne jurai que par cette musique là c'est de 16 à 22 ans. Donc mon passage à l'âge adulte s'est fait avec le rap. Aujourd'hui, je suis un véritable adulte, je suis un père de famille. Et pour mon 10e album, je voulais faire une sorte de rétrospective, mais sans tout ce qu'il y a de chiant dans une rétrospective !
Parmi les morceaux forts de cet album il y a aussi 'La Promesse' avec Soprano et Youssoupha. Comment s'est fait ce titre ?
Je connais Soprano depuis l'époque de Taxi 2, il y a 16 ou 17 ans. Youssoupha je ne le connais que depuis trois ans. Mais j'avais vraiment envie de les réunir. Le refrain et mon couplet sur ce titre là, je les ai posés à New-York, où on était fait les premiers enregistrements de cet album. Mais en rentrant, je me suis dit qu'il fallait que je fasse un featuring. J'ai eu envie de travailler avec Soprano et Youssoupha. Et je leur ai dit de se faire plaisir, d'écrire un long couplet comme à l'époque. Ils ont joué le jeu et le morceau je l'aime vraiment !
Ta famille est très présente dans cet album : dans les textes, dans les clips et surtout sur la pochette de l'album...
Pourquoi je mets autant en avant ma famille ? Parce que "moi mon bling bling c'est ma famille", comme je dis dans le morceau Tu Brilles de l'album "Extralucide". Je suis fier de montrer les miens. Ma richesse c'est ma famille. D'autres vont montrer des voitures, ci ou ça. Et je ne dis pas que ce n'est pas bien. Mais ma fierté à moi c'est ma famille.
Tu cites souvent Rihanna comme anti-modèle dans tes titres, tes enfants ont le droit d'écouter sa musique quand même ?
Ils ont droit de faire tout ce qu'ils veulent, je suis pas un ouf ! (rires) J'aime bien la musique de Rihanna, mais il y a des trucs qui ne nous regardent pas chez elle. Cette exposition totale, même dans sa dépravation, ça n'apporte rien au moulin. Pour moi il ne faut pas faire un excès de provoc sur tout et tout le temps. Ca a déjà été fait en plus, Madonna a passé sa carrière à faire. Et ce n'est pas ce qu'on aime chez Rihanna. Enfin ça dépend des mecs peut-être (rires) J'aime bien ses sons, mais c'est sûr et certain que je ne veux pas que Rihanna soit un modèle pour mes filles. Mais qui aimerait que Rihanna soit un modèle pour ses filles en même temps ?!
Et tu préfèrerais que tes filles aient qui comme modèle alors ?
Leur maman, ma mère, moi, Angela Davis, Nina Simone... Des femmes fortes ! On a souvent l'image de la "femme-objet" et de la "femme-victime". Il faut sortir de ces stéréotypes là. Rihanna est trop dans la "femme-objet". J'essaie de faire en sorte que mes filles aient pour modèle des femmes ni objet, ni victime... des femmes quoi !
Dans le titre 'Comme un rappeur', tu dis "je suis en mission, je dois changer la condition du fiston" : on dirait que tu as un message à passer à tes enfants, mais aussi à toute une génération...
Non je n'ai pas de message à faire passer. Dans ce titre, c'est un père qui parle à son fils. La mission d'un père, c'est de faire en sorte que la vie de ses enfants soit meilleure que la sienne, éviter les erreurs par lesquelles tu es passé. C'est juste une mission paternelle. Je ne suis pas du tout un messi qui vient apporter le message. Après en tant qu'artiste, ça peut avoir un écho sur d'autres gens qui vont l'écouter et s'y retrouver. Mais quand j'écris, je ne suis pas entrain de me dire tu vas changer le monde et sauver la planète, pas du tout !
A partir du moment où tu es artiste, tu as forcément une influence sur les gens qui t'écoutent. Est-ce que pour toi, un artiste est obligé d'être engagé, de prendre position ?
Pour moi, oui, parce que c'est mon ADN et que sinon j'ai l'impression d'être inutile. Mais ce n'est pas quelque chose que j'applique à tout le monde. Chacun fait comme il veut. Je m'occupe de ma petite cuisine. Je suis qui pour dire que tout artiste doit être engagé ? Moi, je ne veux pas faire des choses inutiles. Oui, je fais des morceaux légers, mais il y a une utilité : ça fait du bien, on a besoin de ça. Il y a toujours une volonté derrière de procurer une émotion qui va servir à quelque chose. Tolstoï explique que l'art inutile ne sert à rien, parce que l'art inutile est réservé à une certaine élite de gens qui ont les codes pour comprendre cet art. J'ai un peu la même vision que lui sur ça.
Il y a beaucoup de références au cinéma dans tes textes et clips comme Ghostbuster dans 'Abuzeur'. Mais tu es aussi acteur sur scène au théâtre, on t'a vu dans Dans tes rêves au cinéma ou dans Hero Corps à la tv. Le cinéma c'est quelque chose qui te tentes toujours ?
J'ai très très envie de revenir au cinéma. Ca se réactive, il faut que je reprenne un agent et que je m'y mette. Après deux ans au théâtre avec Othello, je suis plus que prêt. Il faut juste trouver les bons projets. Mais j'aimerai beaucoup faire une comédie !
Tu sors ton 10e album le 1er juin. Les semaines avant et après, il y a beaucoup de rappeurs qui sortent leur premier album : Sneazzy, Nekfeu, Bigflo & Oli, Set & Match... Quel regard tu portes sur cette nouvelle génération plutôt très productive ?
Le seul que j'ai suivi c'est Nekfeu. J'ai vu son morceau Egerie et mon fils aime beaucoup. Nekfeu c'est quelqu'un que j'aime bien, il rappe bien. Ca fait longtemps que je n'ai pas regardé ce que fait Bigflo & Oli mais je les ai rencontrés, ils sont cools. De toute façon c'est bien qu'il y ait du rap, et du rap différent. Le rap c'est comme la boxe, si tu montes sur le ring et que tu peux mettre des droites et coucher des gens, et bien monte sur le ring ! Que tu sois jeune ou vieux. Si tu as le niveau, la place tu la prends.
La chanson que tu écoutes en boucle ? Drake – 10 Bands
La dernière série que tu as regardée ? True Detective, c'était vraiment vraiment fort
Un livre de chevet ? L'autobiographie de Malcom X et Ma confession de Tolstoï
Une appli à laquelle tu es accro ? FontCandy, une application de mise en page pour mes posts Instagram et tout
Propos recueillis par Louise Wessbecher. Ne pas mentionner sans citer Purebreak.com