Le soleil est au zénith lorsque je débarque ce 12 avril pour affronter un défi de taille : ne pas finir plus bas que terre suite à la dictée géante qui se prépare aux pieds de la Tour Eiffel ce jour-là. En plein après midi, alors que la température avoisine les 26 degrés (normal pour un mois de juillet) des milliers de participants vont stylo au poing s'exercer à trois dictées successives sur le Champ de Mars. Cela s'appelle : la Grande dictée des Jeux. Stylo bleu pour écrire, stylo vert pour corriger. De quoi retrouver de vieux réflexes en dix minutes !
>> Les concerts, ça me saoule : merci Pierre de Maere de m'avoir fait changer d'avis à 30 ans ! <<
Un événement co organisé par la marque de stylos Pilot, aux cotés du Salon du Livre, et qui cinq jours plus tard, le 17 avril, sera carrément diffusé à la télé, sur France 5 - vous pouvez encore rattraper le replay ici. Malgré plus ou moins quinze ans passés, si ce n'est bien plus, sans faire de dictée (je suis fan des dictées de Bernard Pivot sur France 3, mais c'est un peu passé de mode) j'appréhende de perdre toute ma légitimité de journaliste culturel en battant un record Guinness Book d'erreurs orthographiques.
D'autant plus que très vite, la pression est là : Augustin Trapenard, monsieur Boomerang (je ne me remets pas de la fin de cette émission) et La Grande Librairie en personne, anime l'événement, tandis que les écrivains stars se suivent sur la grande estrade faisant face à de larges rangées de chaises et bureaux ornés de copies à carreaux. Le journaliste le plus littéraire qui soit s'accompagne d'individus dont la langue est tout simplement le métier. Autant dire qu'on n'en mène pas large quand on a trop l'habitude du correcteur orthographique.
Et c'est là que l'aventure commence.
Faire une dictée à 30 ans, c'est une expérience sociale. Mais faire une dictée à 30 ans alors que le soleil vous crame les cheveux et qu'un Coca brûle à vos pieds, c'est quasiment un happening. Surtout quand vous avez déserté l'écriture manuelle au profit des claviers depuis belle lurette. J'essaie de rester concentré alors qu'une autre star surgit devant les caméras : Rachida Dati. Oui oui, la Ministre de la Culture vient relater en dix minutes ses souvenirs de dictée (excellents, dit-elle) et nous souhaiter bon courage. C'est sport de sa part et plutôt rassurant : mieux vaut cela qu'être la cible de ses légendaires punchlines.
Si je participe à cette Grande Dictée, c'est dans le cadre du tout dernier texte lu : après Agnès Martin-Lugand et David Foenkinos arrive sur scène Marc Lévy, le nom auquel personne n'échappe dans une gare. Il a écrit la troisième et dernière dictée et vient nous la lire aux alentours de 16h30, trois fois en tout. Charmant, il passe son temps à s'excuser pour les trouvailles un peu retorses qu'il a sorti de sa poche afin de nous piéger le plus possible. L'idée est de nous humilier tout en étant hyper gentil. Un vrai gentleman. Merci pour tout Marc Lévy.
L'émotion est folle dès que mon stylo touche la feuille : vu la magnifique typographie (voir photos du drame plus haut) je comprends dès les deux premières minutes de rédaction que mon niveau d'écriture manuelle est devenu déplorable. Je ne sais tout simplement plus écrire au stylo. J'écris aussi bien que je dessine : pas si mal, si vous adorez l'art abstrait et le jeu skribbl-io.
Quant au texte en lui-même, je me fais vite aux astuces de Marc Lévy, son goût pour les tournures alambiquées, les tirets qui s'invitent de ci de là et les homonymes. Exemples magnifiques : "valses-hésitations" (je viens de découvrir une expression) "fards" et "phares" dans la même phrase, la fameuse ambivalence "pairs" ou "pères" (alors que les deux fonctionnent dans l'idée, une seule option est valable !), des questions d'accords, de COD ou COI (souvenirs souvenirs), j'en passe.
Les choix de l'orateur et habitué des best-seller font office de gentils croche-pattes auxquels beaucoup se confrontent dans l'assistance, si j'en crois les réguliers "Oooooh" ou "Pffff" des anonymes, toutefois ponctués de sourires radieux et d'applaudissements collégiaux - il faut dire que le soleil, généreux (lui !) aide vachement à garder le smile, même quand les erreurs s'accumulent sous nos yeux effarés, au grand dam de nos stylos verts épuisés.
Résultat du spectacle ? 7 fautes viennent au bout du compte ternir ma copie bicolore, comme le démontrent mes quelques corrections en vert enrichies de smiley. Pas si pire. Il n'empêche que ce n'est pas tous les jours que l'on se fait un brin humilier par l'un des écrivains frenchies les plus connus et vendus au monde. Et le tout retranscrit à la télé, source d'émotions un brin moins complexes type : "ah oui, il est pas si mal ce pull, tout compte fait...".
Au final, malgré la sévère correction collective, tout le monde repart avec une banane énorme (c'est évidemment une image, sinon ce serait chelou), un certain esprit d'équipe face aux fautes partagées et une envie de balade estivale dans le coin le plus touristique de tout Paname. Un sacré après midi donc. Et comme le dit Augustin lui-même du côté de France TV : "C'est une exception française, la dictée. C'est ça que j'adore. On ne la trouve nulle part ailleurs. C'est quelque chose qu'il faut quand même préserver, surtout si on s'amuse !".