Trois lettres en initiales, une Palme d'or, et une majorité de films chocs : voilà pour le CV de Lars von Trier , "LVT" pour les intimes, génie danois qui peut volontiers prétendre au titre de cinéaste le plus polémique d'Europe.
Entre sa fresque en deux volets avec Charlotte Gainsbourg (les cinq heures trente des deux volumes de Nymphomaniac), son portrait de tueur en série extrêmement trash (son dernier film en date, The House That Jack Built) et le plus beau film de fin du monde de l'Histoire (Melancholia, avec Kirsten Dunst) on ne s'ennuie jamais dans le petit monde destructeur du metteur en scène provoc.
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Destructeur pour ses personnages, comme pour nous : sexe explicite, ultraviolence physique et/ou psychologique, goût insatiable pour l'humour noir, misanthropie carabinée - Dogville, avec Nicole Kidman, constituant un sommet à ce titre - les "trigger warning" s'accumulent à l'écran.
Pour public averti.
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Mais de toute cette filmo, une oeuvre ressort, sa plus mainstream, bien qu'intensément dépressive : le film musical et (très) expérimental Dancer in the dark, qui offre son premier grand rôle au cinéma (et son seul !) à l'extraterrestre de la pop : Bjork ! Un ovni à retrouver gratuitement sur ARTE.
"LVT" adore fait tourner des stars de prestige : Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Uma Thurman, Shia Laboeuf, Matt Dillon, Catherine Deneuve, Charlotte Gainsbourg. Il se plaît à diriger icônes hollywoodiennes et légendes frenchies pour mieux les confronter à la mort, la mélancolie, les tabous aussi. Mais rien ne prédisposait le cinéaste à saisir de sa caméra une chanteuse aussi inclassable que l'Islandaise Bjork, comédienne tout à fait néophyte.
Rien du tout, si ce n'est, un goût en commun pour l'étrange, le mystique, et quelque part... Le chaos. Ce qui à l'unisson définit bien l'esprit du personnage que la chanteuse incarne, la jeune Selma, immigrée tchécoslovaque élevant seule son fils de 12 ans et galérant à l'usine. Triste vie ? Elle le devient bien plus encore lorsque notre pauvre protagoniste se met... à perdre la vue peu à peu.
Selma devient aveugle, et cette déliquescence l'incite à pousser la chansonnette, dans un monde parasité par ses rêves. Spoiler : ses soucis oculaires alarmants ne seront pas le seul de ses soucis. On imagine mal cette tragédie sans les chansons clairement "autres" de Bjork, qui s'est occupée de la BO en compagnie d'un autre génie de l'industrie pop : Thom Yorke, le leader du groupe Radiohead. En découlent de troublantes mélodies.
Troublantes, d'autant plus que la douceur de la voix de la chanteuse contraste furieusement avec la violence du monde de Lars Von Trier, art doloriste où absolument personne n'échappe la souffrance. Bjork et LVT constituent le duo choc de cette entreprise marquante, qu'ARTE envisage comme la rencontre "entre deux artistes phares de la décennie 1990".
A la grande surprise de tous, ce mélodrame hyper poisseux sorti il y a 24 ans tout pile remportera la Palme d'or, dans un jury cannois alors dirigé par Luc Besson. Une victoire pour Lars Von Trier, qui n'a pas forcément mis sa bien connue cruauté en "mute" pour satisfaire le Festival. Loin de là même.
Avis aux âmes sensibles !