Imaginez : d'anonyme, vous devenez un visage familier pour des milliers, et même des millions, d'inconnus dans le monde. Façon The Truman Show. Sauf que les gens vous reconnaissent car vous apparaissez non pas à la télé, mais... dans leurs propres rêves. Sans le vouloir.
Ca, c'est le pitch complètement dingue du film le plus what the fuck de 2023 : Dream Scenario, en salles ce 27 décembre. Une sorte d'épisode de La quatrième dimension, saupoudrée du nihilisme mordant de Black Mirror, et porté par un acteur devenu légendaire pour ses partitions too much : Nicolas Cage. Mais dans la peau d'un prof s'incrustant bien malgré lui dans les rêves des autres, phénomène improbable qui l'érige en star mondiale, Cage nous rappelle surtout quel grand comédien il est. Sa folie persiste, évidemment, mais elle s'enrichit d'une densité admirable.
Il faut dire que l'homme derrière ce projet produit par A24 (Everything Everywhere All At Once), le cinéaste norvégien Kristoffer Borgli, avait déjà donné le ton avec son précédent long, Sick of Myself. Une comédie relatant la dégénérescence physique d'une simili-influenceuse, attirant l'attention en détruisant son propre visage. Dream Scenario décline cette recette, abordant avec une ambition presque démesurée les enjeux de notre société actuelle tout en tutoyant l'horreur graphique, la farce grotesque et la violence psychologique.
Oui, ça promet. Et c'est un euphémisme !
Franchement, vous raconter Dream Scenario serait non seulement du spoil, mais aussi un jeu digne des meilleurs cadavres exquis : relatée, cette histoire a tout du délire incongru, mais à l'écran, elle apparaît comme une sorte de petit monde extrêmement cohérent et polysémique. Pourquoi donc ?
Car cette comédie (très) noire s'approprie un pitch de dingue pour saisir avec une extrême lucidité les maux de notre société. Concrètement, le sort que va subir notre protagoniste, encensé, ultra-médiatisé, avant d'être rejeté (ou pire), permet à Kristoffer Borgli (sorte de Ruben Ostlund, en mieux), d'aborder la cancel culture et la viralité des images sur Internet (les memes), les affres de la célébrité et l'omniprésence de la publicité...
Et ce en liant tout cela à l'univers foisonnant... du rêve. Mais si le protagoniste incarné par Nicolas Cage suscite l'empathie, il apparaît également comme un anti-héros pathétique, ridicule, égocentrique, bref, un être humain en somme. Car il s'agit de saisir l'humanité par-delà la moralité, les sensibilités des uns et des autres, et naturellement, toute l'ambivalence qui va avec. Une qualité qui était déjà au coeur du dévastateur Sick of Myself.
Comme ce protagoniste envahissant les songes nocturnes de tout un chacun à l'instar de Freddy Krueger (le croquemitaine au visage brûlé de la saga A nightmare on Elm Street) il convient dès lors au public, à nous, d'ouvrir notre esprit le plus largement possible : c'est une oeuvre dérangeante, trouble, dense, qui ne se contente pas de gags absurdes ou de discours prémâchés. Ce qui fait le plus grand bien d'ailleurs.
Et la tonalité des séquences qui composent cet improbable voyage d'ignorer, elle aussi, les cases : dans Dream Scenario, un simple contrechamp suffit pour glisser du cinéma d'horreur à l'humour potache, de l'onirisme à la science-fiction dystopique. Un mix qui nous renvoie à l'oeuvre du scénariste Charlie Kaufman : Dans la peau de John Malkovich, Adaptation (déjà avec Nicolas Cage), Eternal Sunshine of the Spotless Mind...
Cauchemardesque donc ? Oui. Et tant mieux !