Le 2 juin, un internaute a été condamné à huit mois de prison dont deux mois ferme pour cyberharcèlement et lesbophobie à l'encontre de la chanteuse Hoshi. Un mot dans cet énoncé peut sembler certainement moins familier que les autres : "lesbophobie". Il faut dire qu'il n'est pas si courant dans la justice française. Et plus encore, dans les médias, les journaux télévisés, les discours des politiques, la société en général.
Raison de plus pour rappeler les bases en ce Mois des fiertés, qui vient célébrer la communauté LGBT et leurs droits : la lesbophobie, ce sont toutes les attitudes ou manifestations de mépris, de rejet ou de haine envers des personnes lesbiennes, comme le définit l'association Sos Homophobie. Mais elle désigne également toutes les discriminations subies : "au travail, dans l'espace public, la famille, le cercle d'ami-e-s, le voisinage, le monde de la santé...", énumère l'asso.
Bref, c'est vaste. Très. Et plutôt peu mis en lumière dans le paysage mainstream. Mais quand il s'agit de parler simplement des lesbiennes, ce n'est pas vraiment mieux : soit l'on ne sait pas comment en parler, soit l'on en parle pas du tout. La situation est telle que même un média comme Le Figaro (pas le plus LGBT de tous) s'accorde avec des podcasts féministes sur cette réalité : les lesbiennes sont invisibles en France.
C'est à croire que le mot Lesbienne en lui-même est un tabou ou fait carrément peur dans ce pays.
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On a essayé de comprendre pourquoi.
Pourquoi lit-on si peu de choses sur les lesbiennes ? Quand on partage les rapports sur les violences que subissent les gays en France par exemple, le terme de "lesbophobie" résonne très peu en comparaison de son pendant désignant les hommes, "homophobie". C'est vrai, on va davantage évoquer les agressions et humiliations que subissent les hommes homosexuels : dans la rue, les transports, en sortie de boîtes de nuit...
Un sujet essentiel bien sûr. Mais qui semble dominer la réalité des violences vécues par les filles et femmes lesbiennes. Autrice du réjouissant Comment devenir lesbienne en dix étapes (éditions Hors d'atteintes), Louise Morel nous explique pourquoi : "En fait, la lesbophobie est au mieux perçue comme une sous branche de l'homophobie, un sujet trop niche, comme si on parlait d'une trop petite catégorie de la population - alors que c'est faux".
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Surtout, notre interlocutrice met le doigt sur quelque chose : "Au regard de la société ca choque beaucoup plus quand un homme voit son apparence violemment critiquée, se voit insulté, harcelé, agressé dans la rue. Pour les femmes, que ton apparence soit commentée, que tu sois insultée, c'est un peu ton quotidien...".
Ca se tient : si on parle si peu de lesbophobie, c'est parce qu'on pense avant tout en terme de sexisme, ou de misogynie. Ce qui n'est en vérité qu'une partie de l'équation. Si épingler le sexisme est nécessaire, prononcer le mot "lesbienne" l'est tout autant. Sinon, c'est la condition même de lesbienne qui se retrouve noyée dans la masse. "On considère trop qu'être lesbienne n'est qu'un pan de la vie privée et c'est tout. Dans les nécros, on précise rarement qu'une personnalité était lesbienne. On l'évoque comme si c'était un détail".
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Pas de quoi aider les principales concernées dans la vie de tous les jours : en France, seulement 37 % des lesbiennes ont fait leur coming out au travail, contre la moitié des hommes gays, relate ce rapport. Les autres se taisent par peur des remarques, des regards, des discriminations.
Au vu de tout ça, une question vient certainement à l'esprit : mais pourquoi c'est si important de dire "Lesbienne" ? D'en parler ? Pourquoi ce n'est pas juste une question de vie privée ?
C'est important, car la lesbophobie est partout.
Et souvent beaucoup plus proche de nous qu'on ne le pense d'ailleurs. La lesbophobie est présente dans le milieu du cinéma. Muriel Robin l'affirmait l'an dernier : "Dans le métier, faut pas dire qu'on est homosexuelle parce qu'on ne travaille pas si on le dit. Les réalisateurs mettent les homos avec les homos, les hétéros avec les hétéros".
Cette suite de violences est évidemment présente dans la musique, comme le démontre le cyberharcèlement que subit Hoshi depuis des années, d'autant plus après avoir embrassé une fille en prime time sur France 2 en chantant son bien nommé hymne Amour censure - La Manif pour tous n'a pas vraiment adoré.
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La lesbophobie est aussi omniprésente dans la vie politique.
En 2021, la maire écologiste du 12e arrondissement de Paris Emmanuelle Pierre-Marie partageait les extraits d'une lettre qu'elle avait reçue, également destiné à l'élue écologiste Alice Coffin. Extrait : "Mesdames, avec la tronche que vous avez c'est sûr que les mecs vont pas se bousculer au portillon pour vous tringler. Mais foutez nous la paix, broutez vous le minou et fermez vos gueules. Salut les gouines !".
La réalité de la lesbophobie en France est si limpide que le gouvernement a déjà été interpellé. Par Sos Homophobie notamment, qui en 2021 toujours déplorait que la première condamnation d'un homme pour un viol à caractère lesbophobe datait... Et bien, de 2021. Un homme de 25 ans avait été condamné le 28 mai par la cour d'assises de Paris à 14 ans de réclusion criminelle pour "viol en raison de l'orientation sexuelle" sur une femme lesbienne.
Et Sos Homophobie de constater : "dans notre société, l'homme est considéré comme la norme à la fois dans la lutte contre l'homophobie et dans les relations femmes-hommes...".
"Les femmes lesbiennes souffrent à la fois d'une condamnation homophobe de base, et d'une silenciation sexiste. Ces deux choses assemblées, être lesbienne devient carrément un non-sujet", déplore à l'unisson l'autrice de Comment devenir lesbienne. Dans le jargon, on appelle ça une "double peine". Pile, tu perds, face, tu perds.
D'ailleurs, Sos Homophobie ne dit pas mieux en précisant que la lesbophobie est "une combinaison d'homophobie et de sexisme". A travers la condition lesbienne s'énoncent donc des siècles d'oppression que les féministes s'exercent encore à bousculer. En interpellant le gouvernement, l'association détaille d'ailleurs : "La condition des personnes lesbiennes intrinsèquement [liée] à la place et aux droits des femmes dans la société".
C'est pour cela qu'on ne peut pas imaginer de combat féministe sans les lesbiennes. Elles en ont toujours fait partie d'ailleurs : dans les années 70, elles n'étaient pas étrangères au matriciel Mouvement de libération des femmes (MLF). On trouvait des femmes lesbiennes dans ce mouvement féministe historique.
Mais au coeur de ce combat, celles-ci doivent gérer la place hyper singulière qu'elles occupent. Alice Coffin détaille cette position dans son manifeste de référence, Le génie lesbien. Elle raconte : "le coeur de la rhétorique lesbophobe c'est nier ta qualité de femme, te comparer à un homme pour te décrédibiliser, car on juge qu'une femme digne de ce nom est une femme hétéro. Autrement dit, une femme disponible pour les hommes".
Pour les misogynes et les lesbophobes, les lesbiennes sont donc à la fois trop féminines, et pas assez - on pointe du doigt leur attitude à l'égard des hommes, leur style, leur coiffure, leurs paroles. Leur tort face à la haine est d'être des femmes. Sans en être vraiment dans une société où l'hétérosexualité est toujours considérée comme la norme. Cette haine, il faut lui faire face avec force, soutien, sororité. Et dire les termes !
On espère observer tout ça lors de la Marche des fiertés qui prendra place à Paris ce samedi 24 juin 2023.
Louise Morel, en tout cas, a bon espoir : "On ne met pas du tout en concurrence les oppressions. Ca, ce n'est pas une réalité, mais une idée organisée par le système. Ce n'est pas très rigolo d'avoir un statut de victime, donc on ne veut pas marginaliser d'autres groupes".
"En fait, il y a de la place pour tout le monde !".