J'ignorais totalement dans quoi je m'embarquais en donnant sa chance à l'une des dernières sorties Poche événement de ce semestre : la parution aux éditions 10/18 de La leçon du mal. Une maison d'édition gage de confiance pour qui s'intéresse aussi bien à tout un pan de la littérature américaine (Bret Easton Ellis, John Fante, Hunter S. Thompson, Hubert Selby Jr) qu'aux trésors de la littérature japonaise : on trouve notamment dans le rang de leurs nombreuses traductions les ouvrages du plus grand romancier japonais vivant, Haruki Murakami.
>> Ce livre a joliment bousculé ma vision de la téléréalité (et mes gros préjugés) <<
C'est dire si je me doutais tout de même un chouia de la qualité de ce choix éditorial de leur part. D'autant plus quand je me suis penché sur l'historique de La leçon du mal... Roman signé Yûsuke Kishi, ce bouquin est un vrai phénomène au Japon. Tant et si bien qu'il a été adapté à l'écran par Takashi Miike, l'un des cinéastes les plus prolifiques, mais aussi provocateurs, du pays. Miike adore le mélange des genres, la controverse, l'horreur, la violence bien graphique. On lui doit notamment Audition, un métrage au climax... Traumatisant. Pour tout vous dire, même les fans de la saga Saw n'en sont pas ressortis indemnes.
Et c'est bien normal.
J'en suis donc venu à la conclusion que ce livre devait être sacrément corsé pour avoir su capter l'attention d'un artiste pourtant habitué aux histoires-chocs. Spoiler, j'étais loin du compte. La leçon du mal, que vous pouvez retrouver depuis peu en format poche dans nos librairies, c'est l'histoire de Hasumi, prof d'anglais brillant et hyper aimé de ses élèves, style Robin Williams dans Le cercle des poètes disparus...Sauf que notre bilingue s'avère être un psycho killer absolu, se targuant d'une longue carrière... Dans le meurtre !
Bizarrement, ce pitch fait écho à mes yeux à la littérature "young adult" (pour un public ado) puisqu'il se déroule dans un lycée, tout en épousant les intentions de best seller plus... Enervés. Je pense naturellement à American Psycho, chef d'oeuvre relatant le quotidien d'un tueur en série américain profitant de sa richesse de "golden boy" pour garantir son impunité.
D'ailleurs, le romancier japonais Yûsuke Kishi partage avec cette fiction un certain sens de l'humour très, très noir. Pour ne pas dire, d'un cynisme dévastateur. A éviter si vous êtes un fervent optimiste.
Oui, de l'humour, il y en a dans ce récit qui donne une vision impitoyable des profs et du cadre scolaire en général. Alors que notre protagoniste est un fou furieux sadique dépourvu de toute empathie, qui va consciemment anéantir, psychologiquement puis physiquement, élèves et confrères, je peux vous garantir que ses collègues ne sont pas mieux lotis : individus lâches (comme le directeur de l'établissement) prétentieux, hyper névrosés, grotesques. Yûsuke Kishi s'adonne il faut le dire à un savoureux jeu de massacre.
Avant que le jeu en question ait lieu... Littéralement. Car si une bonne partie de ce page turner de six cent pages (qui se boit comme du petit lait, croyez moi) se focalise sur l'emprise mentale inouïe de Hasumi sur son entourage, jubilant de se débarrasser du moindre obstacle en mettant en place des stratagèmes minutieux qui m'ont renvoyé aux bad guys les plus machiavéliques de la pop culture (style Hannibal Lecter), La leçon du mal vrille dans son dernier acte à une démonstration de violence qui risque d'épuiser les yeux sensibles.
Je vous aurait prévenu.
Ce virage m'a totalement renvoyé à l'un de mes plus grands chocs de cinéphile : Battle Royale, le classique de Kinji Fukasaku, qui puise lui même dans des livres, à savoir la série de mangas de Kōshun Takami. Je parle de cinéma car l'écriture de Yûsuke Kishi est très visuelle. Son sens de la narration, visant avant tout l'efficacité, est implacable (il en faut, de l'efficacité, pour captiver sur un même concept durant plus de cinq cent pages !) et la manière dont il transforme soudain sa fiction en huis clos sanguinolent est très cinématographique.
Ajoutez à cela le point de vue extrêmement amoral que le romancier voue à la société japonaise et à ses institutions, et l'analogie avec Battle Royale m'apparaît d'autant plus évidente. De quoi vous recommander fortement ce roman qui oscille entre comédie noire virulente et thriller très tendu. Convaincu ?