Et si nous devions changer notre façon d'appréhender la dyslexie ? C'est la question récemment soulevée par une équipe de l'université de Cambridge dans un article publié dans la revue Frontiers of Psychology. Les chercheurs proposent de passer d'une vision de la dyslexie catégorisée comme une maladie à une vision évolutive à travers une stratégie de spécialisation.
Tout d'abord, qu'est-ce que la dyslexie ? La dyslexie, telle qu'on la comprend aujourd'hui, est un trouble des apprentissages qui touche entre 3 et 10 % de la population, bien que comme le suggère cette large fourchette, il est en réalité difficile d'en obtenir une estimation précise. Le trait caractéristique de la dyslexie est la difficulté à lire, mais elle n'est aucunement liée à un problème d'intelligence ou de capacité visuelle.
La dyslexie est une trouble spécifique d'apprentissage d'origine neurobiologique qui se manifeste dans les zones du cerveau qui traitent le langage. C'est une maladie à forte composante héréditaire, même si elle peut être liée à des facteurs de risques environnementaux et circonstanciels comme les naissances prématurées ou l'exposition à certaines substances comme le tabac et l'alcool.
Récemment, un groupe composé de deux chercheurs britanniques a proposé une toute nouvelle théorie qui pourrait changer cette vision. Pour ce duo, les personnes atteintes de dyslexie auraient simplement débloqué une spécification dans la "recherche cognitive exploratoire", ce qui n'impliquerait donc pas de problème neurocognitif mais une stratégie adaptative humaine. Dans leur article, les auteurs rappellent que la plupart des recherches sur la dyslexie ont toujours perçu la dyslexie comme la cause de déficits. Or, de leur côté, ils proposent à l'inverse de penser que ce trouble peut également s'accompagner d'avantages qui compenseraient largement ces déficits, et qui expliquerait sa forte prévalence dans le monde.
Les auteurs évoquent ainsi la présence d'un "biais explorateur". C'est-à-dire que les personnes atteintes de dyslexie auraient un cerveau plus axé sur l'exploration par rapport aux autres qui aurait un cerveau plus axé sur l'exploitation. Cela induirait une société scindée en deux groupes aux compétences complémentaires : l'un avec un profil axé sur l'exploitation des ressources existantes (l'analyse, la réflexion, l'anticipation avant l'action), et un autre axé sur l'exploration de nouvelles ressources, qui serait dans une prise de décision plus rapide, mais également inventive et créative.
De fait, avec ce nouveau groupe, on comprend que sans les dyslexiques de nombreuses découvertes auraient pu ne jamais être faites et ainsi retarder ou handicaper l'évolution de l'humanité.
Cette analyse ouvre la porte à une information supplémentaire vis-à-vis de l'évolution humaine, et comme l'expliquent les auteurs dans leur communiqué de presse, cette théorie - si elle venait à être confirmée, changerait notre vision de la dyslexie en tant que maladie. Selon Helen Taylor (la co-autrice de l'article) : "La vision de la dyslexie centrée sur le déficit ne raconte pas toute l'histoire."
A travers cette théorie, les problèmes causés par la dyslexie sont cette fois-ci attribués à une sorte d'incompatibilité, au fait de devoir choisir entre explorer de nouvelles connaissances et exploiter des informations existantes. Autrement dit, si la dyslexie peut être problématique, elle s'accompagnerait surtout d'avantages cognitifs importants. "Cette recherche propose un nouveau cadre pour nous aider à mieux comprendre les forces cognitives des personnes atteintes de dyslexie", conclut Taylor.
Par ailleurs, il existe une autre notion mise en avant par les auteurs du texte, c'est la perception de l'humanité non pas comme une espèce adaptée à un contexte spécifique mais comme une espèce adaptée "à la variabilité elle-même".
Les auteurs parlent d'échange de qualités, du renoncement à certaines capacités au profit d'autres. Dans ce cas précis : exploration et exploitation. L'idée de recherche cognitive est liée à cet échange. Cela ferait donc apparaître l'idée de "cognition complémentaire", qui laisse entendre que ces alternatives se rejoignent et que l'existence d'individus aux traits différents favorise le développement d'un groupe social à travers la coopération. Concrètement, l'exploration inclurait la recherche de l'inconnu, contrairement à l'exploitation, une compétence liée à des concepts tels que l'efficacité ou la sélection.
L'article présente cette théorie avec une mise en avant de divers tests trouvés dans la littérature. Cependant, il convient de garder à l'esprit qu'il ne s'agit justement que d'une théorie qui demande encore énormément de travail et de recherches. Après tout, cette proposition de cadre conceptuel impliquerait un changement radical dans la façon dont nous avons toujours appréhendé cette condition qui affecte des millions de personnes dans le monde.
Malgré tout, on le sait, cela n'a rien d'impossible. La tâche même de définir le concept de maladie est complexe, car il n'y a pas de critères foncièrement objectifs, d'autant plus quand on parle de psychologie. A cet effet, la dyslexie ne serait pas la première maladie à cesser d'être considérée comme telle, tant la "liste des maladies" n'est en rien un concept fermé mais évolue au fur et à mesure que notre compréhension de notre propre corps progresse.
Cet article a été écrit en collaboration avec Xataka, nos collègues espagnols.