En ce mois de juin, mois des fiertés, c'est l'occasion de revenir sur ces films LGBTQIA+ qui ont changé la société. Alors que des cours LGBTQIA+ pourraient devenir obligatoires dans les collèges et les lycées en France, il reste encore du chemin pour que les orientations sexuelles et les identités de genres soient comprises et enfin acceptées de tous. Il a d'ailleurs fallu attendre d'être en 2020 pour voir le premier héros gay de Pixar, dans le court-métrage Out dispo sur Disney+.
Alors que de nombreuses séries ont évoqué la communauté gay, lesbienne, transgenre, queer, intersexe, asexuelle et tous les autres (Will & Grace, The L Word, Glee, Sense 8, Les chroniques de San Francisco...) c'est aussi grâce au cinéma qu'elle a été mise en lumière avec des films souvent poignants, parfois drôles et pratiquement toujours très forts.
"Etre amoureux de quelqu'un du même sexe est aussi pur et noble que de l'être de quelqu'un du sexe opposé. (...) L'homosexualité fait partie de l'humanité". C'est l'une des répliques du film muet allemand Autre que les autres, réalisé par Richard Oswald, et sorti en 1919. Sans doute LE premier film engagé pour les homosexuels. Didier Roth-Bettoni, co-commissaire de l'exposition Champs d'amours (sur 100 ans de cinéma LGBTQIA+) à l'Hôtel de ville de Paris en 2019, avait expliqué à 20 minutes que "c'est le premier film dans lequel les personnes LGBT ne sont pas moquées ou ne vivent pas une sorte de tragédie imposée. Ce qui est intéressant, c'est que c'est un film militant, engagé pour l'abolition du paragraphe 175 du Code pénal allemand", "qui criminalise l'homosexualité".
Avant L'Exorciste, film d'horreur culte, le réalisateur William Friedkin avait sorti Les Garçons de la bande en 1972. Tiré d'une pièce éponyme de Mart Crowley, l'histoire raconte la soirée d'anniversaire d'Harold (Leonard Frey), chez son ami Michael (Kenneth Nelson). Le cadeau que lui ont réservé ses invités ? Un beau gosse prostitué. Histoires de coeur, de sexe, rancoeurs... La bande de potes s'amuse, danse, discute et met les choses au clair. Une plongée dans le milieu gay qui était une véritable avancée pour l'époque, même si la révolution sexuelle a commencé quelques années plus tôt.
Ryan Murphy va produire un remake, avec Joe Mantello à la réalisation. Il devrait avoir le titre original : The Boys in the Band. Au casting, sont notamment prévus Jim Parsons (Sheldon dans The Big Bang Theory), Zachary Quinto (American Horror Story, saga Star Trek), Matt Bomer (FBI : Duo très spécial), Andrew Rannells (Girls) et Charlie Carver (Teen Wolf, Desperate Housewives). "J'ai l'impression que le monde a besoin de plus d'histoire LGBTQ" a affirmé Ryan Murphy à IndieWire, c'est "une pièce que beaucoup de gens ont considéré comme problématique, lorsqu'elle est vue à travers le prisme actuel de, je suppose - la politique gay. Mais j'ai toujours été intéressé par cela. J'ai trouvé que c'était un bon point de départ".
En 2009, sort aussi Harvey Milk, biopic éponyme du premier homme politique américain ouvertement gay dans les années 1970. Un film signé Gus Vans Sant, dans lequel Sean Penn et James Franco incarnent respectivement Harvey Milk et Scott Smith pour à la fois afficher leur engagement politique et pour la cause LGBT, mais aussi montrer leur histoire d'amour face aux épreuves d'une Amérique en transformation.
Côté européen aussi, les gays sont mis en avant. Dans Querelle de Rainer Werner Fassbinder, sorti en 1982 et adapté de Jean Genet, rien n'est laissé au hasard pour magnifier les personnages. Des phallus disposés un peu partout, un bordel et des couleurs orangées rappelant celle d'un coucher de soleil. Comme le rappellent Les Inrocks, le réalisateur explique dans les remarques préliminaires du film : "Seul celui qui est vraiment identique à lui-même n'a plus besoin d'avoir peur de la peur. Et seul celui qui n'a pas peur peut aimer sans juger, le but suprême de tout effort humain : vivre sa vie". Des mots directement adressés à celles et ceux qui osent encore empêcher deux hommes de s'aimer.
En 1997, l'Asie aussi essaye de lutter contre les discriminations LGBT. Le célèbre Wong Kar-Wai Ho dévoile son Happy Together. Une romance entre Po-wing et Lai Yiu-fai, deux hommes de Hong-Kong qui partent en Amérique du Sud. Un voyage extérieur mais aussi intérieur, durant lequel ils s'aiment, se déchirent, se quittent et se retrouvent.
Dans les années 2000, les films LGTBQIA+ se multiplient sur grand écran. Beaucoup ont marqué les esprits, comme Le secret de Brokeback Mountain (2005). Avant d'incarner le Joker dans The Dark Knight : Le Chevalier noir, une prestation qui reste encore aujourd'hui comme l'une des meilleures de ce "vilain", Heath Ledger a tourné avec Jake Gyllenhaal. L'histoire ? Deux cowboys, summum de la virilité aux Etats-Unis, qui sont chacun mariés, à Michelle Williams et à Anne Hathaway, mais qui tombent éperdument amoureux l'un de l'autre. Non seulement c'est compliqué pour eux à vivre en raison de leurs métiers, mais aussi de l'époque et de l'endroit : 1963 dans le Wyoming. Un amour et une tension sexuelle inoubliables.
Beaucoup plus récemment, c'est Love, Simon (2018), une comédie romantique teen qui a aussi été très plébiscitée. Au casting, vous pouviez retrouver Katherine Langford, Jennifer Garner, Josh Duhamel... Mais c'est Nick Robinson (Simon) qui se fait remarquer dans le rôle principal d'un ado qui cherche à savoir qui se cache derrière Blue, avec qui ils s'envoient des messages secrets.
Celui qui a aussi gravé le grand écran par son esthétique et son histoire, c'est Call Me by Your Name (2017). Le film révèle Timothée Chalamet au grand public, face à Armie Hammer. Ils incarnent respectivement Elio et Oliver, qui malgré la différence d'âge, vont vivre une histoire forte. Une image vintage, un air de nostalgie et des couleurs estivales que l'on verra aussi dans Été 85, le prochain François Ozon. Armie Hammer a aussi assuré au JDD que les films avec des personnages LGBTQIA+ changent réellement les choses : "A la fin d'une projection, quelqu'un est venu me dire que la première fois qu'il avait vu Call me by your name il était rentré chez lui et avait fait son coming out auprès de ses parents. Nous lui avions donné le courage de parler. Si cela a changé la vie d'une personne, c'est formidable. L'art nous affecte et nous impacte d'une manière ou d'une autre".
Bien sûr, il y a eu la comédie musicale Rent, adaptée de La Bohème de Puccini, jouée à Broadway des années durant. Sans oublier Angels in America, la pièce de Tony Kushner sur les années Sida et l'homosexualité sous une présidence républicaine. Mais au cinéma aussi, le Sida a été évoqué plusieurs fois. My Own Private Idaho (1992) de Gus Vans Sant est plutôt confidentiel. Mais il est résolument l'un des meilleurs longs-métrages lié au VIH. C'est River Phoenix, frère de Joaquin Phoenix qui est mort en 1993 alors qu'il était considéré comme le meilleur acteur de sa génération, qui donne la réplique au tout aussi excellent Keanu Reeves. Ils jouent respectivement Mike et Scott Favor, deux amis toxicomanes et fauchés qui sont contraints de se prostituer pour survivre. Mike est gay et finit par avouer son amour à son ami Scott, qui lui est hétéro. Ce dernier va alors laisser tomber son ami pour une femme qu'il connaît à peine. Le héros, abandonné, se retrouve seul.
En 1993, Philadelphia montre l'étendue du problème : la discrimination de cette maladie et la mort inévitable. Andrew Beckett (Tom Hanks), avocat, se fait virer de son cabinet parce qu'il est atteint du Sida. Il attaque en justice son employeur pour licenciement abusif avec l'aide de Joe Miller (Denzel Washington). Si cet avocat est homophobe au départ, il finit par changer de mentalité et va même jusqu'à gagner le procès, avant que le personnage principal ne s'éteigne.
La maladie est aussi particulièrement bien montrée dans The Dallas Buyers Club (2013). Matthew McConaughey y interprète Ron, un cowboy homophobe, alcoolique, drogué, accro au sexe et séropositif. Lui qui pensait que le Sida était une maladie touchant uniquement les homosexuels va évoluer et se lier d'amitié avec la transgenre Rayon (Jared Leto), elle aussi atteinte du VIH. Le film est inspiré de la véritable histoire de Ron Woodroof, créateur du Dallas Buyers Club, premier des douze clubs qui permettront aux séropositifs américains de se fournir en médicaments antirétroviraux étrangers. Sur sa métamorphose physique pour le rôle de Rayon, Jared Leto avait expliqué au Collider que "tout avait son utilité, de l'épilation des sourcils à la perte de 13 à 18 kilos. Tout cela a joué un rôle".
En 2017, c'est 120 battements par minute qui dépeint avec brio les années 1990 et les militants d'Act Up-Paris. Face à l'indifférence générale sur la question du Sida, ils imaginent de nombreuses actions. Une plongée dans l'univers activiste, qui suit Nathan (Nahuel Pérez Biscayart), nouveau venu dans le groupe, chamboulé par la radicalité de Sean (Arnaud Valois). Tous les détails comptent dans ce long-métrage. Même le titre du film a une signification bien précise comme l'a raconté le réalisateur Robin Campillo à Télé Loisirs : "Il se réfère au bpm, le tempo de la house music sur laquelle on dansait. C'était un peu la bande originale de cette épidémie, une musique à la fois joyeuse et mélancolique. Il évoque aussi ces moments où le coeur bat plus fort, quand on est amoureux, quand on a peur, quand on se lance dans l'action. Ces trois lettres, bpm, faisaient aussi écho à tous ses acronymes qu'on avait dû apprendre : l'AZT, la DDI, tous ces médicaments...".
Les lesbiennes aussi ont été représentées au cinéma. En 2013 sort La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche. Adèle (Adèle Exarchopoulos) tombe sous le charme d'Emma (Léa Seydoux) et de ses cheveux bleus. Une histoire d'amour au lycée, qui est dévoilée jusque dans leurs relations sexuelles. "On a passé dix journées entières à tourner la scène de sexe principale avec Léa, alors qu'on ne s'était quasiment jamais croisées. C'était très embarrassant" avait même confié Adèle Exarchopoulos à The Daily Beast. Au point que beaucoup se demandent si ce n'est pas un film lesbien pour des mecs hétéros.
En 2016, Below Her Mouth sur Netflix propose là aussi une idylle lesbienne avec de nombreuses scènes de sexe. L'attirance et l'amour entre Jasmine (Natalie Krill) et Dallas (Erika Linder, mannequin androgyne souvent comparée à Leonardo DiCaprio jeune) sont très bien retranscrits.
En moins sexualisé, le film Carol sorti en 2015 dévoile la naissance d'un amour entre Carol (Cate Blanchett) et Therese (Rooney Mara). La première est bloquée dans un mariage sans amour et la seconde est une jeune vendeuse d'un grand magasin de Manhattan. Désir, passion et tendresse se mêlent dans cette romance.
Et en 2017, Désobéissance va encore plus loin en montrant l'homosexualité dans le milieu juif orthodoxe de Londres, très réglementé. Ronit (Rachel Weisz) et Esti (Rachel McAdams), deux femmes dont leur religion leur interdit d'être ensemble, vont finir par céder à leur amour des années après, lorsque l'une d'entre elle est mariée. Et ici, les scènes de sexe ne sont pas hypersexualisées et ultra dénudées, mais pourtant très érotiques. Rachel McAdams avait précisé à Télérama : "Il y est question d'humanité au sens large, de la liberté individuelle et de l'identité".
En 1992, The Crying Game raconte l'histoire de Fergus (Stephen Rea), soldat anglais enlevé par l'IRA. Il devient ami avec son geôlier Jody (Forest Whitaker). Lorsque ce dernier est tué lors d'une intervention de l'armée britannique, Fergus s'enfuit. Mais au lieu de repartir de zéro pour construire sa vie, il tient sa promesse faite à Jody en recherchant sa compagne Dil (Jaye Davidson), qui est transgenre. Un film beaucoup plus intéressant qu'un simple film de guerre donc, qui tombe ensuite davantage dans une comédie dramatique.
Mais c'est sans doute The Danish Girl (2015) qui a marqué les esprits plus encore, grâce à son histoire vraie. C'est celle de Lili Elbe, née Einar Wegener, l'artiste danoise connue comme la première personne à avoir subi une chirurgie de réattribution sexuelle en 1930. Le film expose au grand jour l'amour de Lili Elbe (Eddie Redmayne) et Gerda Wegener (Alicia Vikander).
Le plus choquant, c'est sans doute Boys Don't Cry (1999). Brandon, né Teena (Hilary Swank) tombe amoureux de Lana (Chloë Sevigny). Mais en plus des discriminations, le transgenre fait face à l'extrême violence d'un groupe d'hommes. Après plusieurs agressions, il sera finalement violé, puis tué, ne pouvant vivre son histoire d'amour avec la femme qu'il aime.
Laurence Anyways (2012) de Xavier Dolan, montre quant à lui une transformation qui aura des conséquences sur le couple. À Montréal, Laurence (Melvil Poupaud) et Fred (Suzanne Clément), sont des trentenaires mariés. Leur amour est mis à rude épreuve quand Laurence annonce à sa femme qu'il veut changer de sexe. Une fresque superbe sur la transidentité, qui montre à quel point le protagoniste ne supporte plus son regard dans le miroir et le fait de se réveiller dans un corps d'homme.
En 1975 sort un véritable ovni : The Rocky Horror Picture Show. Film de science-fiction, film de série B, parodie, film d'horreur, comédie musicale... L'oeuvre de Jim Sharman, adaptée de la comédie musicale de Richard O'Brien, est tout ça à la fois. Au casting, que des pointures : Susan Sarandon, Tim Curry, Barry Bostwick etc. Mais ce sont ses personnages, son décor, son ambiance, ses thèmes abordés et son message qui marquent les spectateurs. Si au départ, ils sont peu nombreux à aller découvrir le Dr Frank-N-Furter, qui se présente lui-même comme travesti de "Transexual, Transylvania", ce héros et ce film deviendront par la suite cultes.
Avant l'émission de Ru Paul sur Netflix, les drag queens aussi ont squatté le grand écran dans de beaux films. En 1994 sort Priscilla, folle du désert. Bernadette Bassenger (Terence Stamp), Tick alias Mitzi Del Bra Mitzi Wonderbra (Hugo Weaving) et Adam alias Felicia Jollygoodfellow / Felicia Boute-en-train (Guy Pearce) sont des drag queen d'un cabaret de Sydney, en Australie. Mais bientôt, le groupe quitte la grande ville pour un casino au fin fond du désert australien. Une aventure WTF, colorée et immanquable qui a marqué plusieurs générations.
Le docu de Jennie Livingston, Paris is burning, est aussi une référence en la matière. Sorti sur grand écran, il nous entraîne dans le milieu des drag queens de New York. Il montre aussi la naissance du voguing, danse qui s'inspire des poses de magazines et dont Madonna fera un tube : Vogue. Une plongée comme jamais dans la ball culture.
On pense aussi à Christian Clavier dans Le Père Noël est une ordure. Il y joue Katia, un travesti qui semble au départ être plein de clichés avec un maquillage à outrance, une perruque et un ensemble léopard. Mais cette comédie, avec l'humour pour fil rouge, dénonce aussi les discriminations. Katia est moquée par ses proches et ressent une immense solitude, même le soir de Noël. Sa détresse est mise en avant lors de sa réplique bouleversante : "Vous ne voyez rien. Vous êtes myope des yeux, myope du coeur et myope du cul !" "Ben, oui, oui, oui, oui, moi, j'ai des poils qui me poussent sous le maquillage et... et je suis un pot à tabac, mais je réclame le droit de vivre, voilà ! Merde !". Même glissée entre deux phrases drôles, cette réplique reste un beau message.
Idem avec La cage aux folles (1978), adapté de la pièce Jean Poiret (qui a aussi été adaptée à New York, Londres et dans le monde entier). Albin, surnommé Zaza (Michel Serrault) est le grand amour de Renato (Ugo Tognazzi). Ce dernier tient un cabaret de travestis. Et tout se complique quand le fils de Renato se fiance et veut présenter son père et son compagnon à sa belle-famille. Et si au début, beaucoup voyaient la scène de la biscotte et le film en entier comme un cliché ambulant, les spectateurs ont fini par y voir le message fort de ce film sorti avant les années 1980 : un couple homosexuel avec un enfant, qui s'aime malgré les discriminations de la société.
C'est ce qu'explique Didier Roth-Bettoni, journaliste et historien, à 20 minutes : "Dans le cas de La Cage aux folles, il y a effectivement le côté flamboyant de Zaza Napoli mais il y a aussi ce couple amoureux qu'elle forme avec Albin et le fait que ce couple a élevé un enfant. On arrive à faire passer beaucoup de choses par le biais de ce personnage-là. Quand je revois le film, ce n'est pas tant des personnages homosexuels et caricaturés dont on se moque, mais des personnages conservateurs, rétrogrades, bigots qui sont autour et qui, eux, sont ridiculisés. Zaza Napoli n'est jamais ridicule, elle est elle-même, un personnage plus grand que nature".