Ce sont nos confrères du Parisien qui ont lâché la bombe dans un article paru mercredi 27 septembre 2023 : Orelsan quitte sa maison de disques Wagram, avec laquelle il a livré ses quatre albums solo, pour rejoindre le mastodonte Sony Music. Un transfert digne d'un mercato de football puisqu'il s'élève à près de 15 millions d'euros d'après le quotidien. Mais concrètement, qu'est-ce que cela implique ?
À partir du 1er janvier 2025, c'est Sony Music qui sortira ses nouveaux albums, distribuera ses anciens et commercialisera les différentes rééditions. De plus, le deal implique également deux nouveaux albums ainsi qu'un long-métrage, que le rappeur caennais, qui a récemment soufflé sa 41ème bougie, est actuellement en train de tourner au Japon selon des sources concordantes, ainsi qu'une bande originale dont il devrait lui-même s'occuper. Seulement, cette hyperactivité, cumulée à ses très nombreux projets récents, commencent à interroger. Notamment ses fans.
Ainsi, plusieurs d'entre eux ont commencé à fulminer sur les réseaux sociaux à propos de cette décision, n'hésitant pas à ressortir une punchline de Shonen, l'une des pistes phares de son dernier album "Civilisation" paru en 2021 et immense succès populaire, tout en remettant en cause la bonne foi d'Aurélien Cotentin, de son nom à l'état civil. "Je refuse des sommes, je refuse des chèques avec plein de chiffres, genre six ou sept / C'est mon intégrité que j'achète, c'est ce que j'appelle payer le prix des rêves", lâchait-il sur ce fameux morceau. Force est de constater qu'il vient de s'autoriser une petite entorse à ce mantra, et au vu des chiffres évoqués, on peut amplement le comprendre.
D'autant plus qu'il a réussi à négocier dans l'affaire de rester entièrement maître de la création et de la direction artistique de ses projets. Orelsan a, semble-t-il, toujours besoin d'être en mouvement et de s'impliquer dans une nouvelle idée. Sony Music apparaît alors comme un véritable mécène pour l'esprit inventif de l'artiste, qui est toujours plus présent depuis quelques années et la parution de son dernier effort en date. On se souvient ainsi qu'il a été nommé égérie pour la marque de luxe française Dior (avec une autre entorse à son texte au passage), qu'il a planché sur les deux saisons de la série Montre jamais ça à personne mise en image par son frère pour la plateforme de streaming Amazon Prime Vidéo, qu'il a livré une "Édition Ultime" de "Civlisation" en 2022, qu'il s'investit toujours dans sa marque de vêtements Avnier, qu'il vient à peine de conclure son éreintante tournée Civilisation Tour et qu'un film retraçant un de ses concerts à Paris La Défense Arena débarque dans plus de 400 cinémas ce jeudi 28 septembre. Cela fait beaucoup pour un seul homme, quel qu'il soit.
Autant de risques de lasser le public, qui, rappelons-le, n'a fait que grandir au fil de sa carrière. Nombre de ses fans d'aujourd'hui n'étaient pas aussi investis, si ce n'est tout simplement présents, dès "Perdu D'Avance", son premier album paru en 2009 avec les polémiques qui en ont découlé. Logiquement, une frange de son audience ne saisit pas forcément toute la complexité et la subtilité de son personnage, et cela peut être un frein dans ses nouvelles ambitions. Mais plusieurs autres questions se posent naturellement. Alors que sa discographie est pour l'instant remarquable, le sera-t-elle toujours après deux nouveaux albums ?
Effectivement, le rap est un genre qui vieillit plutôt mal. Non pas dans les sonorités, mais plutôt chez les artistes en tant que tel. Et les contrexemples sont beaucoup plus rares que les exemples considérables. Début 2025, Orelsan aura 43 ans. Qu'aura-t-il à raconter de nouveau dans ses disques, lui qui a toujours livré au fil de sa carrière des disques en phase avec les périodes de la vie qu'il traversait ? Même s'il a démontré qu'il pouvait s'aventurer avec aisance dans d'autres courants musicaux, sera-t-il capable de le faire sur un disque entier ? D'autant plus que si son ingéniosité et son originalité ont pour le moment réussi à masquer un niveau de chant plus limité, cela ne sera pas forcément le cas éternellement. Aussi, son succès repose en partie sur ses discours et son apparence de mec "lambda". Il apparaît donc normal de remettre en question ses dernières collaborations, qui risquent d'instaurer une certaine distance avec plusieurs de ses admirateurs, tout comme ces questions qui viennent à l'esprit.
Côté septième art, si un film d'Orelsan demeure toujours autant intéressant sur le papier, il faut se souvenir qu'il s'est déjà essayé à l'exercice avec Comment c'est loin avec son comparse Gringe en 2015. Il ne pourra donc plus bénéficier d'un effet de surprise similaire, même s'il a déjà démontré certaines facilités en terme d'écriture, comme pour la très réussie mini-série Bloquée. Son expérience dans le domaine, en tant qu'acteur surtout, reste toutefois limitée, les apparitions dans Au poste ! de Quentin Dupieux (2018), Felicità de Bruno Merle (2020) ou Astérix et Obélix : L'Empire du Milieu de Guillaume Canet (2023), pour ne citer qu'elles, étant plutôt brèves, voir expéditives.
Mais surtout, Orelsan a toujours réussi à créer l'événement avec chacune de ses sorties, en particulier musicales. Et ce pour une raison simple : outre la qualité des disques, il leur a laissé le temps de vivre, de vieillir et d'être exploités correctement à chaque fois suite à leur parution. Offrir les mois ou années nécessaires au public pour digérer une de ses oeuvres, c'est également l'un des secrets de sa réussite. Il semble donc logique que l'annonce de ces nombreux projets à venir soulève des doutes. Pour le moment, il a toujours réussi à éviter l'écueil, parfois bénéfique, parfois préjudiciable, de l'omniprésence culturelle et médiatique.
Néanmoins, on peut compter sur le bon sens et l'intuition d'Orelsan pour prendre les bonnes décisions à ce niveau-là, d'autant plus qu'il est extrêmement bien entouré avec Skread, Ablaye et son frère Clément Cotentin à ses côtés. Comme cela a toujours été le cas jusqu'à présent. Si certains l'attendent au tournant, on l'attend tout court avec impatience.