Le tant attendu retour de Black Mirror s'est opéré le 15 juin dernier. La saison 6 de la série, l'une des plus marquantes et ambitieuses des années 2010, a été mise en ligne le 15 juin dernier sur la plateforme de streaming Netflix. Au programme, cinq épisodes pour tenter de remonter la pente après une saison 5 extrêmement décevante, parue il y a déjà quatre ans maintenant, mais qui avait au moins le mérite d'essayer de rester fidèle à son ADN originel.
Car avec ces nouveaux épisodes, le show créé par Charlie Brooker fait dans la nouveauté. Les deux premiers opus se révèlent être un joli doigt d'honneur à... Netflix ! Dans le premier, "Joan est horrible", la vie d'une jeune femme est adaptée en série quasiment en temps réel sur une plateforme répondant au nom de Strawberry (Netflix donc), et forcément ça part en live très rapidement, avec en guest la star Salma Hayek qui aurait peut-être mieux fait de refuser le rôle. Un bon moyen de dénoncer les conditions générales d'utilisation du géant du streaming, que, de vous à moi, personne ne lit jamais.
Dans le second, "Loch Henry", un jeune couple part au fin fond de l'Écosse pour tourner un documentaire sur une mystérieuse et sordide histoire de meurtre. Là aussi, tout ne se passe pas vraiment comme prévu. Le but ici étant de pointer du doigt la surconsommation des "true crimes", ces séries qui reviennent en détails sur des affaires particulièrement glauques et sont particulièrement présentes dans le vaste catalogue de Netflix.
Si on peut apprécier la démarche audacieuse de s'attaquer à son propre diffuseur, le résultat n'en est pas pour autant convaincant. La première idée, qui s'inscrit parfaitement dans la lignée de l'idée initiale de ce qu'est Black Mirror, part dans tous les sens et tombe dans le caricatural avec un manque de finesse déroutant (stop les scènes de caca à l'écran, par pitié) et des interprétations qui frôlent parfois le ridicule (coucou Salma Hayek). La seconde, bien plus faiblarde, offre un épisode prévisible et sans grand enjeu.
Le meilleur épisode de cette cuvée est définitivement le troisième, baptisé "Mon coeur pour la vie". Dans une version alternative de 1969, deux astronautes chargés d'une mission dans l'espace - parmi lesquels Aaron Paul, connu notamment pour son rôle dans le chef d'oeuvre Breaking Bad - disposent chacun de répliques de leur corps robotisées qui leur permettent de revenir sur Terre aux côtés de leur famille respective via une machine qui transfert leur esprit. En résulte un épisode certes long, très long même (1h20), mais qui s'avère assez touchant et plutôt bien pensé. Cependant, il peine parfois à décoller, notamment car on voit arriver l'issue finale à des kilomètres, et qu'il demeure un épisode random à l'échelle de l'ensemble de l'oeuvre du show britannique.
Mais pour les deux derniers, "Mazey Day" et "Démon 79", la série donne carrément dans le fantastique et le surnaturel, s'émancipant au passage totalement de son concept. Le premier cité suit l'histoire d'une paparazzi sur un gros coup avant que tout ne dégénère (spoiler alert : il y a un loup-garou venu d'absolument nulle part), tandis que le second retrace les péripéties d'une jeune femme prise au piège par un démon aussi fantasque qui ringard. Si ces deux épisodes ouvrent une porte vers un nouveau genre, ils ont également des relents de déjà-vu presque rédhibitoires. On a davantage la sensation de regarder des séries telles que Le Cabinet de curiosités de Guillermo del Toro ou American Horror Stories - sans forcément que cela soit mieux ou moins bien - que Black Mirror, qui s'est complètement travesti pour l'occasion.
Et c'est bien là que le bât blesse. En reniant son principe même, qui a fait toute sa pertinence et sa grandeur, l'anthologie délivre un terrible aveu d'échec à ses spectateurs. Malgré quelques idées intéressantes, absolument aucune séquence n'atteint le niveau de "mindfuck" que l'on pouvait retrouver dans les quatre premières saisons ou même dans le film interactif et novateur qu'était Black Mirror : Bandersnatch (2018). Les twists sont attendus ou dénués du moindre du sens, et le manque d'inspiration palpable - peut-être est-ce pour cela que le créateur a tenté d'écrire un épisode avec Chat GPT. La série s'auto-cite avec des références à sa propre oeuvre, comme pour essayer de renouer avec son glorieux passé en tissant des ponts totalement inutiles avec des univers déclinés il y a plus d'une demi-décennie maintenant.
Si la série dystopique a longtemps semblé en avance, elle a maintenant quelques trains de retard. À force de prendre son temps, Black Mirror a fini par se faire devancer par son époque et on ne peut s'empêcher d'assister à sa propre parodie avec cette sixième saison totalement dépassée. À l'heure actuelle, la série n'a plus les moyens de ses ambitions et, peut-être, n'a finalement plus grand chose à nous apprendre sur nos écrans.