Plus de 35 ans de tournages, un César du meilleur acteur (pour le film Roubaix, une lumière), plusieurs longs en tant que réal et scénariste, mais surtout, un charisme affolant, un regard imperturbable, une gueule comme seuls en ont les grands acteurs français : Roschdy Zem, c'est tout ça. Mais ce comédien que tu as certainement vu dans Intersections, Indigènes, A bout portant, Hors la loi ou plus récemment L'innocent, n'a pas eu un parcours des plus tranquilles.
C'est le moins que l'on puisse dire. Natif de Gennevilliers dans le 9-2, l'acteur de 57 ans a été élevé par des parents d'origine marocaine. En investissant le milieu du cinéma dès la fin des années 80, et plus fortement dans les années 90 et 2000, Roschdy Zem s'est volontiers confronté à l'état d'esprit pas toujours bienveillant de ses pairs. Oui, le mot est faible : on parle là de bon gros racisme qui tâche.
Le principal concerné le raconte carrément dans les pages de Libération. Alors qu'il avait été engagé pour tourner un blockbuster à la fin des années 90, le réalisateur l'a finalement appelé deux semaines seulement avant le tournage : "On a un problème, l'actrice principale ne veut pas partager l'affiche avec un Arabe". La suite est dans le même ton : Roschdy Zem a tout simplement été viré. Au calme.
Tu imagines volontiers l'étendue de la gifle face à une telle remarque. Et tu es encore loin du compte : Roschdy Zem pense alors à tout arrêter, les tournages, les auditions, le cinéma. Il poursuit auprès de Libé : "Aujourd'hui je suis encore en colère contre ce metteur en scène, et triste pour cette actrice, mais à l'époque je me sentais humilié". Qui est surpris ?
Comme le rappelle le journal, cette "humiliation" est également sociale. On s'imagine, d'autant plus dans le cadre d'une grosse prod hollywoodienne, qu'elle a violemment renvoyé l'acteur, davantage installé à l'époque, à ses origines sociales, celles d'un garçon au père ouvrier et à la mère femme de ménage, "qui vivra dans un bidonville de Nanterre, puis un HLM à Drancy : la vie pauvre et dure mais soudée".
Aujourd'hui à l'affiche du nouveau film de Chad Chenouga, Le Principal, Roschdy Zem semble regarder de loin toute cette violence affolante : racisme, mépris, condescendance. Il se réjouit d'obtenir des rôles de plus en plus fins et subtils, loin des stéréotypes et des clichés bien rances : "Dans mon approche du jeu, j'ai complètement changé. Jeune, j'ai beaucoup profité du fait qu'on aimait chez moi le côté un peu brut. Ensuite, je me suis perfectionné, étoffé. On me propose des personnages plus complexes, aux parcours plus nuancés. On n'est plus dans le politiquement correct dès qu'il s'agit de donner un rôle à un enfant de l'immigration".
"Le danger qui nous guette, c'est d'avoir à être systématiquement exemplaires et je trouve que c'est une vraie forme de condescendance de nous interdire des rôles border", détaille encore celui qui, s'il avait été exclu du monde très fermé du ciné français, serait peut-être devenu "vendeur aux puces de Saint-Ouen". Roschdy Zem aimerait que l'on continue à proposer des partitions subtiles aux "enfants de l'immigration", et pas juste des personnages tout noirs ou tout blancs - des facilités auxquelles n'échappe jamais le ciné français.
Une chose est certaine : premier rôle reconnu de tous, il est à mille années lumières aujourd'hui de celles et ceux qui l'appelaient simplement "l'Arabe".