Marie-Luce (Brune Moulin) a quatorze ans et sa vie n'a rien de simple : ses camarades l'appellent "Marie-Suce", son père (Philippe Katerine) s'occupe à peine d'elle et le mec qu'elle aime en secret (Loup Pinard) ne lui accorde aucune attention. Jusqu'au jour où... l'ado profite d'une soirée déguisée pour parler à ce dernier. Travestie en mec, elle parvient à se rapprocher de lui en jouant le bon pote. Beaucoup trop, même : lorsque ce crush secret finit par l'embrasser à pleine bouche, elle comprend que ce dernier est plutôt branché garçons...
Ca, c'est le pitch de La plus belle pour aller danser, tout premier film de Victoria Bedos, la scénariste du giga succès La famille Bélier (et également soeur de Nicolas Bedos), à découvrir en salles dès à présent. Un postulat qui a tout d'une pirouette : on s'attend à découvrir un teen movie des plus tradis, autrement dit une romance hétéro - une histoire de "boys meet girl" comme le disent les anglophones... Sauf que pas du tout. Surprise.
Tout en parvenant à parler à tout le monde (aussi bien aux grands-parents, représentés dans le film, qu'aux teenagers) La plus belle pour aller danser évite d'être ce que sont bien trop souvent les comédies françaises qui cartonnent au box office : des trucs aussi réacs qu'un plateau de Pascal Praud, blindées d'humour ringard et homophobe, du style des blagues de ton oncle bourré durant les repas de famille. On esquive tout ça, et ça fait un bien fou.
Mais du coup, pourquoi La plus belle pour aller danser fait la diff' ? Car le film rejoint en esprit des séries comme Sex Education : il capte le rapport troublé de la génération Z au genre, à ce que cela signifie d'être un mec, d'être une meuf. Ou plus fou encore : d'être un peu entre les deux. Le pitch du film est déjà une ode à la liberté d'être ce que l'on veut, garçon ou fille. Entre les lignes, il nous rappelle également que les fringues ou l'attitude ne nous rend pas totalement masculin, ou féminin.
En cela, La plus belle pour aller danser n'est pas une fable sur l'homosexualité, même si le sujet est frontalement abordé, mais sur la "fluidité" : le fait de glisser d'un genre à l'autre, ou encore, de ne s'identifier à aucun genre en particulier, de refuser toutes les cases. C'est ce qui relie les personnes non-binaires, "gender fluid" ou "queer": le fait de dire non aux étiquettes, ne s'assigner ni au masculin, ni au féminin, ni à tous les clichés qui leur sont liés.
Tout ça, de plus en plus de stars qui squattent nos enceintes ou nos amplis l'expriment. Par exemple ? Le chanteur Sam Smith, qui a affirmé en interview "Je ne suis ni un homme ni une femme, je pense que j'évolue quelque part entre les deux". Et plus récemment, Bella Ramsey, la star de la série phénomène The Last of Us, qui a fait son coming out "gender fluid" : l'interprète ne se reconnaît ni dans le masculin, ni dans le féminin.
On pense aussi aux chansons de Bilal Hassani devant cette comédie frenchie, et notamment au clip de Il ou Elle : un tube de 2022 où le célèbre chanteur, lui aussi habitué aux perruques et aux travestissements (mais dans l'autre sens), affirme : "Je change de tête comme de vêtements [...] J'veux goûter à toutes les saisons, sans demander la permission. Ce soir, c'est il ou bien c'est elle, de toute façon, c'est du pareil au même".
La plus belle pour aller danser aborde tout cet enjeu subtilement et discrètement, en s'amusant ouvertement de ce que sont censés faire les "vrais mecs", ceux qui en ont "une grosse" : écarter les jambes (manspreading à donf), cracher par terre, shooter dans des canettes, parler avec une voix de dur à cuire... Des gestes que s'applique à reproduire d'une façon hyper parodique la protagoniste, soucieuse de ne pas se trahir quand elle se déguise. Pour elle, être un mec a tout d'une comédie. C'est dire si la virilité prend cher. C'est Vincent Cassel qui va rager.
A ce sujet d'ailleurs, Victoria Bedos envoie valser les tabous et fait du travestissement un acte qui pour sa jeune héroïne est surtout une manière d'être aimée, de s'épanouir, de se sentir plus libre, en phase avec elle-même.
Un message carrément positif qui vous parlera forcément si vous kiffez les émissions qui font chialer comme RuPaul Drags Race : des shows où les drag queens apparaissent en "role models", des personnes marginalisées qui ont du affronter des drames dévastateurs (exactement comme la Marie-Luce du film) pour se trouver et s'aimer.
Bref : c'est pertinent, c'est drôle, ca fait chialer, et c'est à découvrir en salles dès maintenant. Tentés ?