Annoncée comme une révolution à son lancement, véritable alternative à la télévision, la plateforme de streaming Netflix se rapproche de plus en plus du dinosaure qu'elle était pourtant censée effacer. Entre la mise en place de la publicité, la fin des libertés accordées aux créateurs qui voient leurs oeuvres être annulées à tout moment car jugées peu rentables, mais aussi la diffusion de programmes en direct ou d'émissions de télé-réalité, on ne voit plus en quoi le géant se différencie d'une simple chaîne comme CBS, TF1 ou encore la BBC.
Bon, en réalité il existe encore un argument qui permet à Netflix de garder ses distances avec la télévision : le binge-watching. Aujourd'hui, la plateforme continue encore régulièrement de mettre en ligne l'intégralité de ses nouvelles saisons d'un seul bloc afin de permettre aux abonnés de s'enfiler les épisodes le plus rapidement possible. Oui... sauf que même cette originalité pourrait finir par disparaître.
D'après un sondage réalisé par YouGov - repris par Variety, les spectateurs feraient de moins en moins confiance au fonctionnements de la plateforme de streaming. Alors qu'il n'y a jamais eu autant de séries créées dans le monde, le public n'aurait plus envie de perdre son temps à regarder quelque chose qui pourrait être annulée en cours de route.
"Un quart des adultes américains préfère désormais attendre la diffusion du dernier épisode d'une saison avant de la commencer, résume le site américain, citant à 27% la peur de voir la série être annulée avec une intrigue non résolue". De même, le sondage montre que "près de la moitié des américains (46%) attend parfois ou toujours la fin d'une série avant de commencer à la regarder". Aoutch.
Un sondage anecdotique ? Pas du tout. Etant donné que Netflix a pour habitude de mettre en ligne l'intégralité d'une saison le jour même, elle opte (parmi d'autres critères) pour un calcul très spécial afin d'analyser si cette création mérite ou non d'être renouvelée : elle regarde le nombre de personnes qui sont allées jusqu'au bout du visionnage dans un temps imparti.
Malheureusement, si cette façon de faire parait logique au premier abord, c'est vite oublier un détail : le binge-watching est parfois étouffant pour les spectateurs qui n'ont pas le temps de découvrir une nouvelle série/suite, ni l'envie d'avaler dix épisodes en un week-end. Aussi, il n'est pas rare que certains abonnés attendent plusieurs jours pour regarder un bout de la suite, puis plusieurs jours encore pour tout finir.
Une façon de consommer logique et saine (ça permet de mieux savourer, analyser et comprendre la série, son propos sans avoir l'impression d'être au fast-food), mais qui n'est pas encore assimilée par les dirigeants. En voyant que le public n'a pas tout regardé aussi rapidement qu'espéré, ils s'imaginent bêtement que la fiction n'est pas appréciée, entrainant son annulation.
C'est notamment ce qui permet à Ted Sarandos (CEO) de se vanter de ne jamais annuler de séries qui cartonnent, persuadé d'avoir bien analysé le comportement du public, et aux spectateurs de se méfier de Netflix, eux qui n'ont plus envie de s'investir quand leur passion n'est pas respectée.
Et c'est là que ce sondage entre en jeu et dévoile son importance pour le futur de la plateforme. Après tout, si la tendance se poursuit (voire augmente avec de plus en plus d'abonnés qui préfèrent attendre de connaître l'avenir d'une série avant de la débuter), les audiences vont fatalement dégringoler et rendre illisible la grille de lecture mise en place par les dirigeants. De fait, ils n'oseront plus investir ou créer, et les spectateurs n'auront plus beaucoup de choses originales à regarder.
Face à cela, il existe alors une solution : mettre fin au binge-watching avant le retour à un mode de diffusion plus classique. Un concept qui peut apparaître démodé, mais qui est déjà adopté avec succès par les sites concurrents comme Disney+ qui propose les épisodes de ses séries Marvel ou Star Wars de façon hebdomadaire, ou Prime Video qui opte de son côté pour des blocs de deux à trois épisodes inédits par semaine. Bien évidemment, il ne s'agirait pas d'une évolution miraculeuse (une série qui n'est pas vouée à trouver son public ne fonctionnera pas plus comme ça), mais elle pourrait néanmoins permettre à certaines créations de connaître un second souffle et à Netflix d'éviter quelques erreurs stratégiques.
Avec une programmation plus aérée, il serait plus simple pour les abonnés de se caler une séance de visionnage pour regarder les épisodes et donc aller au bout d'une saison plus sereinement et naturellement. Par ailleurs, c'est en faisant durer le plaisir sur plusieurs semaines que Netflix s'assurerait également de faire grimper le buzz avec des discussions enflammées plus régulières et plus longues sur Internet, au travail ou à l'école, ce qui pourrait ensuite intriguer et attirer plus rapidement de nouveaux spectateurs. Une façon de faire simple et basique, mais qui a déjà fait ses preuves et qui crédibiliserait les décisions des dirigeants.
Difficile d'imaginer Netflix renier volontairement ses valeurs au risque de casser son image et rentrer dans le rang en ressemblant à n'importe quelle autre plateforme ou chaîne ? Pourtant, c'est déjà un peu le cas. Cela ne vous a probablement pas échappé, mais le site de streaming découpe de plus en plus régulièrement les saisons de ses séries phares (La Casa de Papel, Stranger Things, You) en deux blocs de quelques épisodes, espacés d'un ou deux mois.
Une façon de faire un peu étrange (voire frustrante), mais qui fonctionne au regard du succès des séries concernées. On imagine alors que d'autres tests pourraient être lancés dans le futur, tournant (définitivement ?) la page du binge-watching.