Alain Chabat, Eric & Ramzy, Adèle Exarchopolous, Benoît Poelvoorde, Grégoire Ludig et David Marsais du Palmashow, Benoît Magimel, Gilles Lellouche, Vincent Lacoste... Quentin Dupieux, à l'origine plus connu sous le sobriquet de Mr. Oizo (légende de la french touch), s'est mis au défi depuis quinze ans déjà d'employer l'intégralité du cinéma français au service de son cinéma bizarre, absurde, surréaliste, corrosif, ubuesque, tragicomique et... magnifiquement idiot.
Steak, Rubber, Mandibules, Au poste, Fumer fait tousser, ont déjà démontré le caractère zinzin de son art. Et en 2023, ca continue de plus belle : ce n'est pas un mais deux longs-métrages du réalisateur qui envahiront les salles. Le premier est déjà sorti, ce 2 août, il s'appelle Yannick, et le casting est tout aussi beau : l'incroyable Raphael Quenard (révélation du film Chien de la casse), Pio Marmai, Blanche Gardin...
Une distrib' qui fait rêver le public : avec un démarrage enthousiasmant de 26.363 entrées, Yannick a enregistré le meilleur score de son auteur depuis l'excellent Au Poste, il y a cinq ans. Il faut dire que la séance est gratuite si vous vous appelez Yannick. Oui oui, ce n'est pas du tout une blague.
L'histoire ? Le Yannick du titre, veilleur de nuit, interrompt un vaudeville dont il est le spectateur sous prétexte que la pièce de théâtre à laquelle il assiste serait beaucoup trop affligeante. Arme au poing, il va imposer aux trois pauvres acteurs pris en otage de jouer sa propre pièce. Quitte à se mettre la salle dans la poche. Résultat ? Un grand moment de comique, forcément fou, et étrangement loin d'être si absurde.
Comme toutes les oeuvres de Quentin Dupieux (Ramzy qui se fait charcuter le visage, une mouche géante, un pneu tueur et télépathe qui hante le désert américain, Benoît Magimel qui désire posséder une "bite bionique") Yannick ne dépareille pas par son incongruité réjouissante. En pleine salle du cinéma, on observe une salle de théâtre prise en otage, sidérée de l'étrangeté de la situation (comme nous autres), face à des acteurs familiers et cabotins qui jouent des parodies d'eux mêmes... Une mise en abyme d'un trouble abyssal.
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Emotion d'autant plus déroutante que le film entier est dirigé par un acteur qui fait office d'extraterrestre dans le petit monde du cinéma français : Raphael Quenard. Second rôle remarqué (le frère d'Adèle Exarchopoulos dans Je verrai toujours vos visages, c'était lui) et futur Césarisé (pour sa performance électrisante dans l'histoire d'amitié masculine Chien de la casse), l'acteur emporte tout avec sa gouaille, son vocabulaire sophistiqué ponctuée d'expressions désuètes, sa douce folie bien azimutée son entrain à toute épreuve...
Si ses monologues maltraitent nos zygomatiques, il suffit d'une scène pour que l'interprète nous tire les larmes. Dans la peau de Yannick, il incarne un personnage déroutant mais dont la franchise exprime tant de choses : le rapport pas toujours évident entre la culture et le public, la distance qui sépare tragiquement ces deux camps, la position du spectateur qui veut juste "se divertir", la subjectivité face à un film, ou une pièce, l'expérience de la salle, le mépris de classes... Ce vaudeville saboté, ce sont aussi toutes les comédies françaises qui nous font hurler de gêne chaque année.
Ainsi, à travers le happening radical de Yannick, s'exprime le désir d'un rire plus exigeant, de qualité. Ca tombe bien, c'est justement ce que propose ce drôle de film qui, malgré son chaos assumé, délivre un discours loin d'être incohérent dans sa vision de la création, laquelle, suggère Quentin Dupieux, ne serait au fond rien sans le public qui la reçoit - et la critique. C'est certain, beaucoup de spectateurs vont s'y reconnaitre !