Et si on s'interrogeait deux secondes sur notre emploi des mots ? Ce serait plutôt cool, d'autant plus que les mots font tout : notre rapport au monde, notre identité, nos convictions, même. Et autant vous dire que celles de Morgan Freeman sont plutôt solides. Après tout, on parle bien du mec qui joue dans le meilleur film du monde (Les Evadés) et de la personnification de Dieu - dans Bruce Tout Puissant. Sans oublier son CV en tant que voix-off. Balèze.
Question certitudes, l'acteur est justement convaincu d'une chose : il ne faut plus dire "afro américain". Jamais. Que ce soit pour désigner un acteur, un chanteur, un Président des Etats-Unis : il faut tout cesser. On imagine que bien des mecs - même les fans de Seven - crieront volontiers à la "cancel culture" ou aux ravages du "wokistan". Ce serait trop bête, car Morgan Freeman a de bonnes raisons d'envoyer valser ce terme.
Ces raisons, elles nous ramènent au racisme qui tâche, à la société américaine, à l'Afrique... Auprès du "Sunday Times", la star octogénaire s'est largement expliquée. En s'énervant un poil. On l'écoute.
"Mais qu'est-ce que ça signifie vraiment, 'afro-américain' ? On dit 'afro' comme si l'Afrique était un pays... Mais c'est un continent, comme l'Europe. On ne parle pas d'Euro-Américain", a décoché l'acteur. Si l'expression est régulièrement employée pour mettre en lumière les stars noires, elle ferait tout l'inverse selon la star : les ramener à une espèce de racisme ordinaire que les personnes concernées ne connaissent que trop bien.
"Il y a des choses que je n'aime pas et ça en fait partie", a poursuivi Morgan Freeman, qui lâche le mot : pour lui, "afro-américain", "c'est une insulte !". Bel uppercut de la part du coach de boxe de Million Dollar Baby.
Si pour l'acteur il est important que tout le monde soit représenté aujourd'hui à l'écran (il énumère : "LGBTQ, Asiatiques, Noirs, Blancs") ce que l'on appelle "l'inclusion" ne doit pas excuser tous les abus de langage.
En fait, le débat autour des mots "afro américain", jugés trop réducteurs voire carrément racistes, nous ramène des années en arrière. En 2020, le traitement d'un drame, l'assassinat de George Floyd par un policier blanc, suscitait de grosses questions dans la presse : "faut-il vraiment écrire 'afro-américain' ?".
Dans Libé, l'experte en civilisation américaine Cécile Coquet l'expliquait alors : "Un certain nombre de Noirs Américains rejettent l'expression parce qu'ils estiment qu'ils ne connaissent rien de l'Afrique, et que c'est un manque de respect pour ceux qui sont vraiment Africains".
Mais si l'expression est aujourd'hui contestée par des stars comme Morgan Freeman, son usage est né d'une autre icône : Malcolm X, étendard des luttes contre les discriminations raciales dans les années cinquante et soixante. Un demi-siècle plus tard, alors que les mentalités évoluent, on n'hésite pas à interroger la pertinence de la chose, preuve que rien n'est jamais fixe ou intouchable quand on parle de militantisme.
Tant mieux ?
Clément Arbrun