Pour tous les insomniaques du samedi soir - en tout cas, ceux qui ne regardaient pas (que) le prime time infini des Simpson sur W9 - les clashes d'anthologie d'On est pas couché restent des instants hyper marquants du PAF. Quitte à ce que la violence qui s'en dégageait souvent... dépasse les mots. C'est précisément ce que s'était passé en septembre 2017 lors de la venue sur le plateau de Laurent Ruquier de Sandrine Rousseau.
Piqûre de rappel : à l'époque, la députée écoféministe vient présenter son livre Parler, au sein duquel elle relate l'agression sexuelle qu'elle a subi et dont fut mis en cause l'ex-membre des Verts Denis Baupin - alors également accusé d'agression sexuelle par trois autres femmes. Or face à elle, les chroniqueurs Yann Moix et Christine Angot l'assaillent de piques agressives, surtout vu la teneur plutôt sensible du sujet.
En fait, les chroniqueurs accusent notamment Sandrine Rousseau d'instrumentaliser la question des violences sexuelles en l'intégrant dans le domaine politique : "On ne fait pas dans un parti politique la question des agressions sexuelles ! On le fait avec l'humain", proteste Christine Angot. "On le fait avec des oreilles, on le fait parce qu'on a des yeux, on le fait parce qu'on écoute", poursuit-elle.
De son côté, l'actuelle députée insiste justement sur l'importance de créer une cellule d'écoute pour les victimes. Qui, précise-t-elle, ne sont malheureusement pas toujours entendues quand elles parlent, contrairement à ce suggère la chroniqueuse... Qu'importe : pour Christine Angot, tout ce que raconte Sandrine Rousseau, "c'est du blabla !".
Au fil des échanges, le débat se transforme en conflit. Christine Angot finit par quitter le plateau, et Sandrine Rousseau finit en pleurs. Aujourd'hui encore, cette dernière est très émue quand elle se remémore ce clash. Sur les ondes de RTL et plus précisément dans le podcast Tenaces, elle témoigne : "Cette séquence, elle a été violente à vivre. Faut quand même le dire, c'est que moi, je n'étais pas bien prête. Vraiment pas !".
"Détail" qui n'en est pas du tout un, et qui a marqué le public : voir la romancière Christine Angot être aussi virulente face à la femme politique, alors que l'autrice est connue pour son poignant récit L'Inceste (1999), un roman où elle relate les viols répétés que lui a fait subir son père quand elle était enfant. "En fait, on voit deux femmes victimes de violences. Ce n'est pas une femme contre un homme. Et ces deux femmes sont en souffrance d'une certaine manière", déplore d'ailleurs Sandrine Rousseau aujourd'hui.
Cette séquence est très dure à revoir en 2023. Mais à sa manière, elle est historique. Pourquoi ? Car nous ne sommes alors qu'en septembre 2017 et le mouvement #MeToo n'explosera mondialement qu'en octobre, avec les révélations dédiées à l'ex producteur Harvey Weinstein. Or ce que se prend Sandrine Rousseau dans la figure, c'est du "victim blaming", un terme alors quasi inconnu en France : il est employé pour désigner ceux qui critiquent les propos et l'attitude d'une victime de violences afin de mettre à mal sa légitimité.
Cela t'es certainement familier : à chaque grande enquête - par exemple, le vaste dossier que "Médiapart" a dédié à Gérard Depardieu, accusé de violences sexuelles par 13 femmes - les voix des plaignantes sont constamment mises en doute. Ce qu'a subi Sandrine Rousseau en 2017, beaucoup de victimes de violences sexuelles en feront les frais ensuite. A sa manière, cette scène en dit long sur la difficulté à libérer la parole, dans une société, et aussi un espace médiatique, qui ne fait que remettre en cause cette parole.
Sandrine Rousseau l'analyse aussi un peu comme ça aujourd'hui du côté de RTL : "Il faut se souvenir que, quand j'ai dénoncé ces violences publiquement, on était un an avant le mouvement #MeToo, et on n'en parlait pas du tout. Je pense que cette séquence a été une des séquences où la question des violences sexuelles, pour l'une des premières fois, s'invitait dans le salon de beaucoup de Français et de Françaises !".
Tu ne le savais peut être pas mais en février 2022, le collectif #MeTooPolitique a lancé un Observatoire. L'idée ? Dénoncer les violences sexistes et sexuelles qui perdurent dans la petite sphère du monde politique, soutenir les victimes, mais aussi pointer du doigt l'impunité des agresseurs. Encore une fois, tu constateras que Sandrine Rousseau était plutôt à l'avant-garde de cet élan-là, désormais appuyé par des députées, des ministres, des militantes féministes. Quitte à subir en retour une violence inouïe. Qu'elle se rassure : personne n'a oublié.